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CSRD : Le miroir du futur

Une année 2024 sous le signe du changement, tel pourrait être le bilan de ce premier semestre. Des instabilités géopolitiques aux élections hexagonales, en passant par une météo globale déréglée, le premier jalon du calendrier est venu challenger les structures humaines et économiques. Et comme les « bonnes » nouvelles n’arrivent jamais seules, une nouvelle loi CSRD (1) est venue, tel un tsunami, rebattre les cartes du développement durable dans le monde des entreprises.

Mais finalement, quelle est la finalité de cette nouvelle loi ? Pourquoi est-on venu se rajouter une contrainte supplémentaire, concurrentielle dans un monde économique matériellement en contraction depuis 2007 (2) ? Sommes-nous devant un nouveau caprice réglementaire ou devant une longue série d’accompagnements au changement ? Prenons un peu de recul pour bien comprendre les finalités de cette nouvelle directive, pour en capter les meilleures opportunités.

L’extra-financier est extra !

Difficile de résumer la CSRD en quelques lignes. Mais prenons-le sous l’angle de la Petite Reine, c’est d’actualité en ce début juillet. En point de départ, nous avons le pacte vert de l’Union européenne (3). Un pacte d’engagements qui pose le pari d’un territoire éco-responsable, éco-acteur qui mise sur un futur meilleur pour ses habitants, sur une captation et conservation des flux financiers grâce à une transformation massive de son tissu économique en mode durable.

Pour accompagner ces changements technologiques, stratégiques, sociétaux, débutés depuis le début du millénaire, une série de règlements sur le ‘reporting’ extra-financier a vu le jour. Les changements de braquets de la loi NRE, Grenelle 2, et NFRD étaient venus donner de l’importance aux actions, indicateurs, politiques RSE des entreprises. Ce premier trio avait mis en place de nouveaux processus de contrôles externes et autres audits de sincérité. La CSRD vient donc accélérer les choses en passant de la 3e à la 6e vitesse de plateau via une question socle : « quelle est la valeur ajoutée de mon modèle économique, ma raison sociale, dans un monde structurellement changé à 5, 10, 15 ans ? »

Dans ce contexte, la capacité de captation de fonds de roulement et d’investissements ne se retrouve plus déterminée uniquement par une capacité à générer des profits à court terme. Les banques, investisseurs, fonds de pension, auront alors mécaniquement un regard différent sur la possibilité de créer de la valeur dans un monde à +2°C, avec 50% d’eau en moins, dans un flux continu de crises géopolitiques, migratoires et sociales. Se dessine ici un profond changement de paradigme sur la valeur intrinsèque d’une entreprise. Les structures devront donc, demain, se projeter, être transparentes sur leur capacité de résilience, voire de disruption.

Quand trop de KPIs tuent les KPIs(4)

Pour mesurer la capacité de transformation, de compréhension des enjeux, mais aussi pour guider vers les bonnes feuilles de route, la loi (im-)pose une série d’indicateurs précis.
À l’image du passage au scanner/IRM, au doux nom ici de « matrice de double matérialité », les sociétés vont devoir déterminer leur quantité d’indicateurs à travers une liste de….1200 points de données. Tous ne seront pas des KPIs, notons-le.

Certains étant optionnels, d’autres obligatoires, narratifs, quantitatifs, qualitatifs, matériels ou non, les entreprises devront prouver pourquoi elles gardent, pourquoi elles écartent tel ou tel indicateur. Mais vous l’aurez compris, l’important ici ne sera pas de devenir le champion olympique des mesures. Pour celles et ceux qui en voudraient le moins possible, une sélection de quotas minimum, MDR (5), sera de toute façon obligatoire.

Ce qu’il est important de comprendre, c’est qu’à l’image du médical, la mesure d’une lésion, anomalie, maladie ou constante du corps, n’a jamais guéri le sujet. C’est bien le plan d’action curatif qui en découle qui permettra de soigner, réparer, protéger. Force est de constater que les législateurs pourraient nous proposer cette même finalité. Une approche qu’il faudra mettre en avant pour motiver le maximum de parties prenantes internes et externes.

Quand les responsables RSE deviennent des Risk-managers.

Du fait de cette évolution majeure de la loi, les métiers de la RSE vont complètement changer, tout comme les métiers d’audit. Ces derniers vont demain « tamponner » les nouveaux rapports de durabilité et devront monter en compétences sur certains sujets précis du développement durable. Les équipes supports des entreprises auront besoin également demain de parler le langage des ESRS, IRO, ODD et des sujets imposés comme le bilan carbone, la biodiversité, les pollutions et autres thématiques sociales. Dans tous ces changements, les personnes en charge de la RSE devront orchestrer cette nouvelle partition musicale avec tact et intensité, tant les changements sont majeurs et profonds.

Dans les évolutions de logiciels intellectuels opérés, il y aura l’omniprésent besoin de regarder chaque maillon de la chaine de valeurs sur l’angle de la gestion des risques. Cette évolution en gestionnaire de risques de haut vol se fera via une structure de pilotage, issue des propositions de l’EFRAG, les IROs. Impact, risques, opportunités seront déclinés pour chaque étape de production des structures. Positifs, négatifs, réels, probables, irrémédiables, courts, moyens et longs termes : l’inventaire de ces éléments permettra de filtrer les risques et d’en proposer des solutions, protections.

Et c’est peut-être ici qu’est le miel de cette nouvelle loi. La capacité à pouvoir se projeter dans un monde souhaitable, réaliste et pérenne.

Un voyage dans le temps sans Delorean

Cette capacité de se projeter dans le futur, de regarder dans un miroir la viabilité de son modèle sera déjà une première étape clé. Ensuite il faudra rentrer dans le détail d’une projection moyen, long terme devant le dessin d’une société transformée dont nous commençons à distinguer les contours, pour se dire « Qu’est-ce que je produirai demain ? Quel sera mon modèle dans ce contexte ? »

Cet exercice de gestion des risques est annuellement réalisé par le World Economic Forum. Sont alors cartographiés, analysés et projetés les sujets qui pourraient empêcher de créer de la valeur économique à 2 ans et à 10 ans. Pour poser le sujet, et par ordre d’importance, voici les 4 principaux thèmes qui risquent de perturber l’économie mondiale selon leur rapport de 2024 (6) : Événements climatiques extrêmes, changements critiques des systèmes terrestres, perte de biodiversité et effondrement des écosystèmes, pénuries de ressources naturelles… rien que cela…

Donnons du temps au temps sur le jugement de l’efficacité de cette nouvelle loi. Mais pour autant, surveillons le compte à rebours de l’agenda 2030 et déclenchons le plus rapidement possible les passages aux actions. Croyons en un futur meilleur permis par nos changements de comportements, adaptations de nos stratégies. Nous nous devons de penser collectif pour couper court au fatalisme et à l’inaction, le passage à l’action étant souvent le meilleur moyen de lutter contre l’éco-anxiété. Enfin, rappelons-nous la phrase du grand explorateur polaire Fridtjof Nansen : « Vous n’avez pas réussi, continuez… Vous avez réussi, continuez. »



Notes

1/ Corporate Sustainability Reporting Directive
2/ Entretien JM Jancovici& B Picard
3/ Pacte vert
4/ Key performance Indicators, indicateurs clé de performance
5/ Minimum Disclosures requirement, détaillé par jules Pigassou
6/ Global-risks-report-2024

Plus de publications

Sébastien BOLLE est président de l'association RESO2D.
Structure engagée dans la pédagogie de la RSE, des ODD auprès des citoyennes et citoyens.
Au quotidien, coordinateur RSE dans l'industrie, il a à cœur d'accompagner les changements de modèles.
Vacataire à l'école centrale de Nantes, il partage quelques clés pour un monde durable auprès des jeunes publics.
Il anime des conférences sur le territoire nantais où il est ambassadeur de la plateforme RSE depuis 10 ans.

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