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l’Élitisme en question 

Interview Bertrand Coty

Jacques Martineau, vous publiez aux éditions du Panthéon : « l’Élitisme en question ». Comment caractérisez-vous le gâchis des véritables élites ?

Par habitude, l’élitisme, tel qu’il est perçu ou ressenti par l’opinion publique, concerne avant tout, les classes supérieures dirigeantes, du public ou du privé. Ce sont des personnalités connues ou reconnues dans leurs domaines : patrons, cadres supérieurs issus de grandes écoles, politiques, hauts fonctionnaires, littéraires, artistes, sportifs, etc. C’est d’eux, dont il est question.

Le culte de l’élitisme est un mal chronique au service de classes dirigeantes qui se placent au-dessus du « lot ». Empreintes d’un pouvoir « absolu », à durée déterminée, elles transmettent, grâce à leur environnement, à leurs collaborateurs ou futurs successeurs les clés de cette idéologie qui consiste à les privilégier sans contour aux dépens des autres. Tous les artifices sont là pour conforter les nouveaux promus, obéissants, fidèles à la pensée unique. En politique, en particulier, l’appui de la COM’ est sans limite avec la complicité de nombreux médias et de la presse.

La sélection de ces femmes et hommes de qualité, mais inadapté(e)s pour la fonction proposée, vont s’en accommoder avec les artifices prévus : un « titre », un « pouvoir de position », une « compétence par attribution », un « comportement d’autorité » et une « promotion ». Ces élites de circonstance se servent de tous ces avantages pour gérer le reste. Elles sont très minoritaires dans le « système », mais toujours placées à des postes stratégiques. Dans leurs actions et par leurs comportements, elles servent à la fois de modèle et/ou d’exemple d’incompétence. Une partie de ces élites qui ne sont pas à leur place sont à l’origine du gâchis des élites.

En quoi ce mode de fonctionnement met-il à mal la méritocratie républicaine et l’ascenseur social ?

Parler d’élite à ce niveau est une notion compréhensible pour tous. Elle se réfère à un « parcours référence » : origine, formation, diplômes, parcours professionnel ou politique et relationnel. Ceci correspond de fait à une sélection. La méritocratie ne souffre pas de qualificatif.

Majoritaires à l’intérieur du « système », les véritables élites nécessaires assurent l’essentiel des activités. Dans tous les cas, elles sont indispensables. Leurs conditions de travail sont très inégales. Beaucoup sont trop souvent sous tutelle, tout en contribuant de leur mieux au bon fonctionnement de l’ensemble. Mais elles ne peuvent pas faire valoir tous leurs atouts. La connaissance, l’expérience, la motivation et la relation aux autres ne sont plus des critères essentiels de choix. Nombre de ces élites finissent à terme par se détourner. C’est d’une part, une véritable perte du talent et du savoir-faire de ces personnes, d’autre part un sentiment d’échec pour les partants.

Certains autres « promus » à des postes clés sont assimilés à des élites par la volonté des décideurs, en référence à des passe-droits et des dérivés, jugés incontournables. À ce haut niveau, l’image d’ascenseur social est détruite, faisant du tort aux plus méritants qui avaient franchi l’ensemble des étapes et désormais sont laissés pour compte, faute de place.

Quelle serait d’après vous la meilleure solution pour sortir de ce travers ?

En aucun cas, la sélection des élites doit continuer à se faire à la sortie du lycée au travers de classes préparatoires. On ne naît pas élite. On le devient après des études et un parcours professionnel confirmé et des résultats.

Toute solution passe avant tout par la remise en cause de la façon dont est organisé l’enseignement supérieur. L’objectif est d’étudier, de former et d’orienter les étudiants en fonction de leur choix, de leur motivation, de leur capacité réelle et de leur niveau. Pourquoi ne pas favoriser au départ des formations fondamentales de base dans un cycle commun suivant les spécialités de deux ans à l’Université. Une présélection d’orientation doit prendre en compte leur aptitude en référence aux résultats des élèves et à leur préférence.

Cette formation supérieure de haut niveau aide à mieux apprécier la capacité des étudiants aux études et de comprendre leurs ambitions en rapport avec les besoins du marché de l’emploi pour satisfaire la demande. Le parcours universitaire dans ce premier cycle permettrait à tous les étudiants d’apprendre à vivre ensemble sans concurrence, réduisant la distinction sociale, dans un meilleur état d’esprit, en meilleure confrontation à la réalité de la relation aux autres.

C’est là que se situent les conditions requises pour favoriser un véritable ascenseur social. Ces deux années passées à l’université pour tous seraient sanctionnées par un diplôme universitaire d’études supérieures (DUES). C’est alors que l’on peut parler de sélection.
Trois voies s’ouvrent : l’option grandes écoles ; l’option université-recherche ; ou une option université-entreprise.

Quels en seraient les bénéfices selon vous ?

Il faut prendre conscience que trop d’incompétence et d’inexpérience sont devenues « monnaie courante ». L’emprise de ce mal profond ne cesse de se développer pour satisfaire une politique de facilité. Cela concerne tous les échelons de la base jusqu’aux postes clés à l’intérieur de petites ou de grandes entités, publiques et privées. Elles se retrouvent entre les « mains d’incapables » d’assumer leurs fonctions. Quelques « mises sur étagères » et « arabesques latérales » aident à libérer des places.

Le choix des élites ne peut pas se limiter à celles qui ont fait des études supérieures. Les élites concernent l’ensemble des citoyens de toutes origines, de tous les métiers, de toutes les cultures. Leur impact dépasse l’« Hexagone ». Leur reconnaissance est aussi souvent mieux appréciée et récompensée à l’international.

La majeure partie des dirigeants à l’affût d’une élite et des politiques en charge du dossier confondent orientation et sélection. Pourtant, si la France veut remonter la pente, retrouver sa place dans la communauté internationale, favoriser l’innovation et la créativité, elle doit élargir l’origine de ses élites. Former en permanence et orienter avant de sélectionner est la clé de la réforme. Renoncer à l’amateurisme et favoriser la promotion interne de ses collaborateurs confirmés.

Si l’enjeu est de taille, il n’est pas inaccessible. Il faut investir en masse dans la formation et la recherche, favoriser et valoriser le corps enseignant et les chercheurs. L’offre de débouchés à tous les niveaux de ces études supérieures « à l’endroit » est d’autant plus crédible que tous les secteurs de la vie économique, universitaire et industrielle seraient impliqués dès le départ.

Avant de parler du courage nécessaire pour se lancer dans une telle réforme, faut-il déjà en avoir la conviction et la volonté de la faire ?

Les éditions du Panthéon

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Après un long parcours scientifique, en France et outre-Atlantique, Jacques Martineau occupe d’importantes responsabilités dans le public et dans le privé. Confronté au choix de collaborateurs de haut niveau, il a pris conscience de la gabegie de nos élites. Fondateur de Club Espace 21, auteur d’essais en particulier sur l’Entreprise et sur l’Europe, il est chevalier de l’Ordre National du Mérite et de la Légion d’Honneur.

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