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Des Hellènes aux Helvètes

Interview Bertrand Coty

Arona MOREAU, vous publiez aux éditions Vérone, Des Hellènes aux Helvètes : ce qu’il reste de la démocratie. Pouvons-nous parler de déficit démocratique aujourd’hui, où, et comment cela se manifeste-t-il ?

Oui. Il y a bel et bien un déficit démocratique à l’échelle mondiale. Il n’y a qu’à regarder l’état actuel de la démocratie dans les pays les plus politiquement modernes ou les plus traditionnellement démocratiques pour s’en convaincre. Qu’on parle d’Europe occidentale ou d’Amérique du Nord, le constat général est que la démocratie y est réellement, nettement et fortement en régression. L’on s’y contente d’une démocratie représentative qui n’arrive même plus à satisfaire les plus petites exigences pratiques et techniques de ce que j’appelle le minimum démocratique. Quant au reste du monde, si ce n’est une alternance indéfinie ou routinière de petites avancées et de grands reculs démocratiques, c’est tout simplement une hostilité ouverte et clairement assumée à la démocratie ainsi qu’à ses principes fondamentaux ; à savoir la liberté de chacun et l’égalité de toutes les libertés.

Peut-on lier urgence climatique, usure du capitalisme et déni démocratique ?

Bien évidemment que tout est lié. Tout se tient. C’est une question de gouvernance globale. La même doctrine politique qui a fini d’imposer dogmatiquement et triomphalement le modèle civilisationnel du capitalisme sur le toit du monde est aussi le plus grand fossoyeur de la démocratie à l’échelle du monde, mais également le plus grand destructeur de l’univers du vivant. Le capitalisme, me semble-t-il, est loin d’être en état d’usure. En quelques petites décennies, il est passé d’un modèle d’économie politique à un ordre de gouvernance politique. Aujourd’hui il est tout tranquillement en train de devenir un système moral global en voie d’universalisation. Une civilisation universelle. Si ce n’est déjà fait …
 
Comment imaginer reconstruire une démocratie universelle dans ce contexte ?

La base élémentaire de la démocratie, c’est l’État de droit. Au-delà de ses principes généraux ou fondamentaux, la démocratie, tel un bipède, ne marche qu’avec deux piliers, à savoir la représentation et la participation ; c’est-à-dire, d’une part, avec un dispositif politique et administratif conçu autour de l’État, des autres institutions républicaines et de l’ensemble de leurs prérogatives et, de l’autre, avec le peuple, qui est l’entité collective et vivante dont l’unité active reste le citoyen. Le peuple, c’est à la fois chacun et tous. Le citoyen, c’est le peuple en miniature.

À mon avis, la reconstruction démocratique ne peut être entreprise qu’en partant du contexte et des réalités spécifiques à chaque pays. Je précise au passage que le cadre national fonctionne avec le droit alors que l’international consacre un ensemble de rapports de pouvoir entre des souverainetés nationales. En matière de reconstruction démocratique, le niveau international me semble loin ou vague, d’autant plus qu’aucun pays ne peut donner de leçon à un autre. Personnellement, je ne crois pas trop au droit international. Que chaque pays s’occupe de lui-même. Une fois tous les pays ayant franchi le cap fatidique du minimum démocratique, on pourra parler d’universalisation de la démocratie.

La seule démocratie digne de ce nom à mes yeux à l’heure actuelle reste la Suisse. C’est sans aucun doute très largement le meilleur système politique du monde. Et ce n’est pas juste qu’une affaire de referendums ou de votations populaires à organiser régulièrement. C’est plutôt et surtout une capacité à organiser les institutions et à les faire fonctionner en toute cohérence et conséquence avec les choix du peuple souverain.

Il y a un manque de volonté politique. Je pense que les États deviennent de plus en plus corrompus et insoucieux des vies et aspirations des populations. Quelque part, cela vient de la transmutation idéologique et politique du capitalisme qui associe individualisme radical et accumulation infinie de biens et de richesses sans pour autant s’occuper respectivement ni des services publics, ni des droits des gens ni de la planète et de son état en dégradation continue, voire accélérée. C’est la « sorcière » avec sa « doctrine du lucre » que craignait terriblement John Maynard Keynes.

Personnellement, je pense que ni le capitalisme ni le communisme ne sont faits pour faire figure de modèles politiques. Le capitalisme est commercial et financier. Le communisme est social et communautaire. D’ailleurs Robert Owen, le père du socialisme britannique, insistait déjà avant Marx et Engels sur le fait qu’il n’était applicable qu’aux petites communautés ou localités. Je crois que le capitalisme c’est l’argent pour l’argent, que le libéralisme c’est l’argent pour l’économie et que le socialisme c’est l’économie pour la société et la population. Seulement, même le socialisme de notre époque est corrompu. Moi, je suis un centriste du centre. À ne pas confondre avec celui inqualifiable et très mal structuré actuellement aux affaires en France, sous Macron …
 
Si rien n’est fait quelle serait la chute pour les peuples ?

Je pense qu’il incombe à chaque pays de prendre ses responsabilités. Je ne crois pas qu’il y ait dans ce monde un peuple qui n’aspire pas naturellement à la démocratie. La démocratie reste la plus grande, la plus forte et la plus belle invention collective de l’humanité. Le déficit démocratique dont je parle est principalement dû au fait que du point de vue des États et gouvernements comme du point de vue des peuples, on a tendance à oublier que la démocratie est un idéal. Raison pour laquelle il faudrait arrêter de la relativiser comme si elle était secondaire ou facultative alors qu’elle constitue elle-même la seule garantie de la bonne gouvernance politique et globale. La démocratie porte en elle la quintessence de la modernité politique. C’est une conquête permanente autant pour les États que pour les peuples. Le progrès démocratique de tout pays comme du monde entier passera inévitablement par la volonté de tout État à se réformer pour mieux servir démocratiquement sa population, mais également par une rééducation politique des peuples pour une meilleure connaissance du sens, de l’importance ainsi que des mécanismes techniques et pratiques de la démocratie.

Les éditions Vérone

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Arona Moreau est penseur et organisateur politique, chercheur en sciences humaines et sociales. Universitaire et combattant pour la démocratie et l’écologie en Afrique, il est le fondateur du Parti Citoyen (PC) au Sénégal.

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