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Choc et résilience : la France et l’Union européenne à l’épreuve des crises internationales

Interview Bertrand Coty

Gilles Barouch, vous publiez Choc et résilience : la France et l’Union européenne à l’épreuve des crises internationales. Quels sont les effets mesurables des crises qui se succèdent sur la France et l’Europe selon vous ?

Neufs crises internationales ont profondément marqué la France et l’Union européenne (UE) depuis le début du siècle. Leurs principaux effets ont été les suivants. La crise financière de 2007 a fait depuis l’objet par l’UE de mesures correctives (les tests de solidité des banques) qui ont évité une catastrophe lors du retour de la crise en 2022. Les effets de la crise économique provoquée par la crise financière se font sentir jusqu’à ce jour puisque la croissance en France et en Europe a été inférieure à la moyenne des pays de l’OCDE. À la suite de la création de l’euro, le non-respect du pacte de stabilité et de croissance (60% du PIB d’endettement et 3% de déficit) par la France et la majorité des pays de la zone euro et l’absence de sanctions ont favorisé le fort endettement de la France, l’Italie et la Grèce. Lors des crises arabes, les interventions militaires étrangères en Libye et en Syrie ont aggravé les guerres civiles dans ces pays et provoqué une vague migratoire en Europe. La crise syrienne a débouché sur la création de l’État islamiste auteur de nombreux attentats terroristes en France et en Europe. La guerre en Ukraine a fait des dizaines de milliers de victimes et renchérit du coût de l’énergie en Europe. Le manque d’efficacité de l’UE dans la gestion des crises y a favorisé la montée des partis d’extrême droite et souverainistes. Enfin, la France, prise par surprise par la pandémie du Covid 19, a procédé à trois confinements qui ont aggravé la situation de ses finances publiques.

En résumé, la situation de la France et l’UE s’est notablement détériorée par rapport à la période antérieure aux crises s’agissant des taux de croissance, de l’endettement, du nombre de migrants clandestins, de l’insécurité et des résultats des partis extrémistes aux élections.

Vous pratiquez un mode d’étude systémique dans votre analyse. Quelles sont les principales interactions à l’œuvre ?

Les crises décrites ci-dessus sont toutes des crises systémiques. Une crise systémique se définit comme une perturbation qui, sur des systèmes fragilisés, a des effets en chaine menaçant de détruire le système concerné. La principale interaction ayant favorisé l’affaiblissement des systèmes concernés est leur ouverture sur leur environnement externe accompagnée d’un défaut d’anticipation des effets de cette ouverture et d’un déficit des contrôles par les autorités concernées. Ainsi la crise financière a résulté de l’interconnexion mondiale des réseaux tandis que certaines agences de notation donnaient la meilleur note AAA à des « actions pourries ». La valeur de celles-ci s’est effondrée à la suite de la forte baisse du marché de l’immobilier américain provoquant la faillite de banques américaines et diffusant la crise financière au niveau international. La seconde interaction significative est la forte perturbation inattendue qui a frappé les systèmes affaiblis et généré ces crises. La troisième interaction importante concerne les solutions adoptées par les gouvernants. Elles ont traité le symptôme de la crise et non ses causes profondes, sauf dans le cas de la crise financière mentionnée ci-dessus et de celle du Covid avec la vaccination.

En résumé, trois types d’interaction ont provoqué ces crises : l’ouverture mal contrôlée et aux effets mal anticipés des systèmes sur leur environnement externe, la perturbation inattendue frappant les systèmes fragilisés, puis l’intervention curative des gouvernants portant sur le problème apparent qui n’a pas résolu la crise mais l’a souvent aggravée. En conséquence, sauf dans les deux cas mentionnés ci-dessous, ces crises se prolongent. Il faut noter que les crises systémiques tendent à se déporter sur d’autres systèmes : la crise financière a produit la crise économique qui a engendré la crise de l’euro ; les crises arabes ont débouché sur la crise des migrants et sécuritaire.

Quelles sont les solutions qui peuvent être envisagées pour quels types de scénarios ?

Les gouvernants sont piégés dans une représentation réductionniste des problèmes et des solutions. Or, dans les systèmes ouverts d’aujourd’hui, les problèmes sont complexes. Ils demandent, pour être résolus, une vision à moyen terme de sortie de crise et le traitement de leurs causes racines en collaboration avec les parties intéressées. Cela correspondrait au scénario rose. Le scénario noir se caractériserait par une aggravation des crises qui conduirait à la décomposition des systèmes. Il est à l’œuvre en Syrie, en Libye et en Ukraine. Ces pays sont démembrés et en proie à des guerres larvées ou ouvertes. Dans le scénario gris, intermédiaire, les crises se prolongent sans que les causes racines ne soient identifiées ni traitées. Les problèmes complexes et prolongés auxquels la France est confrontée actuellement semblent correspondre à ce scénario : endettement et déficits publics, croissance faible, problèmes sécuritaire et migratoire, montée des extrêmes et crise politique.

Pensez-vous que vos propositions puissent engager nos concitoyens en France et en Europe sur une nouvelle voie et dans la confiance ?

Il est difficile de faire évoluer une culture occidentale habituée à des schémas d’analyse et d’action réducteurs qui ne prennent pas en compte la nécessité d’une vision systémique et stratégique de traitement des crises. La question centrale est de passer d’un traitement symptomatique des problèmes à des solutions durables. En conséquence, nos concitoyens devraient exiger des gouvernants qu’ils affichent leur vision équilibrée de sortie des crises et qu’ils définissent les objectifs mesurables correspondants sur lesquels ils s’engageraient et rendraient des comptes. Ensuite, des groupes de travail associant les parties intéressées et animés par des facilitateurs professionnels seraient constitués pour analyser les crises et proposer des solutions innovantes. Si les parties intéressées sont opposées ou en conflit, l’intervention d’un médiateur indépendant et neutre serait nécessaire. Cette approche a été mise en œuvre avec succès en France pour la résolution de conflits d’environnement, conduisant à des projets de développement durable[1].

L’ensemble de ces nouvelles mesures pourrait aider à rétablir la confiance de nos concitoyens dans l’action publique.

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[1] https://www.fnac.com/a13189280/Herve-Bredif-Facilitations-strategiques

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Gilles Barouch est diplômé d’HEC-Paris, Docteur de Sciences de Gestion de l’Université Paris-Dauphine et Habilité à Diriger les Recherche en Sociologie de l’Action de l’Institut d’Etudes Politiques Paris.
Il a été Professeur Senior en Management de la Qualité à Kedge Business School (2009-2016) et Directeur Académique du Mastère Spécialisé en Management des Systèmes Qualité, Environnement, Sécurité dans cette École (2009-2011), classé premier Master dans sa catégorie.
Il est consultant depuis 1980 et il a 40 ans d’expérience en formation, conseil et recherche.  Ses thèmes d'expertise sont le management de la qualité, le développement durable, la négociation gagnant-gagnant, le management du changement et la gestion de crise.

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