Académique

Conseil

Conseil

Les cendres du défunt et leur dispersion : quand le droit s’en mêle…

Selon l’article 16-1 du Code civil, chacun a droit au respect de son corps, le corps humain étant inviolable. Le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort, comme le précise très justement l’article 16-1-1 du Code civil. Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence.

Tel est le principe posé par l’alinéa 2 de l’article 16-1-1. Les dispositions de l’article 16-1-1 sont issues de la loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire. Avant cette loi, se posait la question de savoir si les cendres pouvaient être classées parmi les « éléments » du corps humain ou ses « produits » ? La réponse n’était pas simple : la réglementation était floue et la jurisprudence contradictoire. Seule l’urne cinéraire avait fait l’objet d’un statut esquissé par la jurisprudence. Comme la dépouille mortelle, elle a ainsi été assimilée à un objet d’une copropriété familiale, inviolable et sacrée (tout changement du lieu de sépulture d’une urne cinéraire devant en conséquence obtenir l’assentiment de l’ensemble des co-indivisaires).

Les cendres étaient en effet devenues un bien mobilier indivis entre les membres d’une famille donnant lieu à des batailles judiciaires pour leur garde (TGI Lille, 5 décembre 1996, Dalloz 1997, n°29). Pour ce qui concernait le contenu de l’urne, certains professionnels du droit estimaient que la possibilité de dispersion des cendres dans la nature et l’assimilation de la crémation à la disparition dans la pensée crématiste semblaient faire obstacle à ce que les cendres fussent considérées comme un élément du corps humain (et ce, en l’absence de loi en ce sens). Il semblait alors nécessaire de définir dans la loi le statut des cendres des personnes décédées dont le corps a donné lieu à crémation, afin qu’elles soient traitées avec respect, décence et dignité et bénéficient de la même protection que le corps des personnes inhumées. C’est le sens de l’article 11 de la loi susvisée ayant inséré l’article 16-1-1 du Code civil. Le fait que les cendres du corps humain doivent être traitées avec respect, dignité et décence donne ainsi à ces dernières et aux urnes funéraires la même protection que les tombeaux, sépultures et monuments funéraires (CA Paris, 27 mars 1993, JCP G II, 10113).

En France, le nombre de crémations des corps augmente chaque année. Selon les dernières études publiées en la matière, le nombre de crémations des corps dépasserait désormais le nombre d’inhumations en terre. La crémation, au regard de son caractère irréversible, est très encadrée juridiquement. Les articles R.2213-34 et suivants du Code général des collectivités territoriales (CGCT) en témoignent, s’il en était besoin. La crémation est ainsi autorisée par le maire de la commune de décès ou, s’il y a eu transport du corps avant mise en bière, du lieu de fermeture du cercueil. Cette autorisation, qui peut être adressée par voie dématérialisée, est accordée sur les justifications suivantes :

  • l’expression écrite des dernières volontés du défunt ou, à défaut, la demande de toute personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles et justifie de son état civil et de son domicile ;
  • un certificat de décès établi par le médecin ayant constaté le décès, affirmant que celui-ci ne pose pas de problème médico-légal ;
  • le cas échéant, l’attestation du médecin ou du thanatopracteur prévue au troisième alinéa de l’article R.2213-15.

Lorsque le décès s’est produit en France, la crémation a lieu vingt-quatre heures au moins et six jours au plus après le décès. Lorsque le décès a eu lieu dans les collectivités d’outre-mer, en Nouvelle-Calédonie ou à l’étranger, elle a lieu six jours au plus après l’entrée du corps en France (les dimanches et jours fériés ne sont pas compris dans le calcul de ces délais). Des dérogations aux délais prévus aux deuxième et troisième alinéas peuvent être accordées, en raison de circonstances particulières, par le préfet du département du lieu du décès ou de la crémation, lequel prescrit éventuellement toutes dispositions nécessaires. En cas de problème médico-légal, le délai de six jours court à partir de la délivrance, par le procureur de la République, de l’autorisation de crémation.

La loi du 19 décembre 2008 précitée restreint les lieux de dispersion des cendres funéraires et interdit de conserver des cendres funéraires à son domicile. L’article L. 2223-18-2 du CGCT prévoit qu’à la demande de la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles, les cendres sont en leur totalité :

  • soit conservées dans l’urne cinéraire, qui peut être inhumée dans une sépulture ou déposée dans une case de columbarium ou scellée sur un monument funéraire à l’intérieur d’un cimetière ou d’un site cinéraire visé à l’article L. 2223-40 ;
  • soit dispersées dans un espace aménagé à cet effet d’un cimetière ou d’un site cinéraire visé à l’article L. 2223-40 ;
  • soit dispersées en pleine nature, sauf sur les voies publiques.

En cas de dispersion des cendres en pleine nature, la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles en fait la déclaration à la mairie de la commune du lieu de naissance du défunt. L’identité du défunt ainsi que la date et le lieu de dispersion de ses cendres sont inscrits sur un registre créé à cet effet (article 2223-18-3 du CGCT). La notion de « dispersion en pleine nature » ne fait l’objet d’aucune définition juridique. Une circulaire du 14 décembre 2009 se réfère à la notion « d’espace naturel non aménagé », et ce afin de souligner l’incompatibilité de cette hypothèse de dispersion des cendres avec la notion de propriété particulière. La notion de pleine nature apparaît en effet peu compatible avec celle de propriété particulière interdisant la dispersion des cendres dans un jardin privé (sauf exceptions, notamment lorsque la dispersion est envisagée dans de grandes étendues accessibles au public mais appartenant à une personne privée comme un champ, une prairie, une forêt, et ce sous réserve de l’accord préalable du propriétaire du terrain).

Par exemple, la dispersion en mer est possible, dès lors qu’elle ne contrevient pas à la réglementation maritime et aux règles édictées localement au titre de la zone de police spéciale de 300 mètres instituée par la loi littoral du 2 janvier 1986 et codifiée à l’article L.2213-23 du CGCT. Pour cela, les professionnels funéraires chargés de ces opérations ou la personne habilitée à pourvoir aux funérailles se rapprocheront de la préfecture maritime compétente pour les formalités liées à la réglementation maritime, ou du maire pour les règles afférentes à la zone de police spéciale. Pour la déclaration relative à la dispersion des cendres prévue à l’article R.2213-39 du CGCT, la commune de rattachement sera celle du port ou du mouillage de départ du bâtiment. On le voit, la question de la dispersion des cendres en pleine nature est strictement encadrée.

Toutefois, parfois, le juge doit venir trancher des conflits familiaux sur cette question précise. Ainsi, a été jugée fautive la décision unilatérale de dispersion des cendres dans une propriété particulière par le père d’un défunt, en l’absence de directives laissées par celui-ci avant son décès, privant de ce fait la veuve et le jeune fils du défunt de la possibilité de venir se recueillir sur le lieu de dispersion, du fait des relations conflictuelles existant au sein de la famille (CA Grenoble, 17 mai 2016, n° 15/00651).

Plus de publications

Président de FRD CONSULTING et de FRD LEARNING. Son expérience de juriste et d’avocat lui a notamment permis d'acquérir une solide expertise en droit immobilier public (droit de l’urbanisme, droit des collectivités territoriales, droit de l’environnement…).
- Spécialiste en droit public et en RSE
- DEA Droit public des affaires
- DESS Droit de la construction et de l'urbanisme
LEX SQUARED AVOCATS

A lire aussi sur le sujet

Synergies entre la Démarche Sapin II et les Obligations de Reporting CSRD

Face aux enjeux posés par ces contraintes réglementaires et aux ressources nécessaires pour les satisfaire, il est essentiel de ne pas arbitrer entre ces obligations, mais plutôt d'identifier des leviers de synergies et de mutualisation.

Développement durable : l’éolien et les régions

La cour a pu légalement en déduire que le préfet de la Haute-Loire avait à tort considéré que ces éléments de l'étude d'impact ne permettaient pas d'apprécier correctement les effets du projet sur les paysages et le patrimoine”.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Translate »