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Atteinte grave et durable à l’environnement : les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins

Les juges administratifs et constitutionnels s’emparent réellement depuis maintenant quelques années des questions et préoccupations environnementales. Ainsi, en septembre 2022, les Juges du Palais-Royal ont jugé que « le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » constitue une liberté fondamentale (CE, 20 septembre 2022, n° 451129, publié au Lebon).

Cette décision du Conseil d’État a et aura de grandes conséquences pratiques par la consécration de cette nouvelle liberté fondamentale. La solution retenue par la récente décision en date du 27 octobre 2023 des Sages de la rue de Montpensier relative à une installation de stockage de déchets radioactifs est également l’illustration parfaite de cette nouvelle préoccupation des juridictions françaises (Conseil constitutionnel, décision n° 2023-1066, QPC du 27 octobre 2023).

Le Conseil constitutionnel vient en effet de juger que le législateur, lorsqu’il adopte des mesures susceptibles de porter une atteinte grave et durable à l’environnement, doit veiller à ce que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne compromettent pas la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, en préservant leur liberté de choix à cet égard. Il avait été saisi le 3 août 2023 par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L.542-10-1 du Code de l’environnement, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-1015 du 25 juillet 2016 précisant les modalités de création d’une installation de stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue.

L’article L.542-10-1 du Code de l’environnement fixe le régime applicable à la création et à l’exploitation d’un centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs. Ces dispositions contestées prévoient notamment que le stockage de déchets radioactifs dans un tel centre est soumis à une exigence de réversibilité, mise en œuvre selon des modalités précises et pendant une durée minimale. Les requérants (plusieurs associations de défense de l’environnement) reprochaient à ces dispositions de ne pas garantir la réversibilité du stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs au-delà d’une période de cent ans, faisant ainsi obstacle à ce que les générations futures puissent revenir sur ce choix alors que l’atteinte irrémédiable à l’environnement et en particulier à la ressource en eau qui en résulterait pourrait compromettre leur capacité à satisfaire leurs besoins.

Selon eux, ces dispositions méconnaissaient ainsi le droit des générations futures à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. Ce droit a ainsi été consacré en liberté fondamentale – on l’a vu précédemment – par le Conseil d’État le 20 septembre 2022. Selon l’article 1er de la Charte de l’environnement, « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ». En outre, aux termes du septième alinéa du préambule de la Charte de l’environnement, « afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ». Ces dispositions obligent le législateur à veiller à ce que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne compromettent pas la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, en préservant leur liberté de choix à cet égard, lorsqu’il adopte des mesures susceptibles de porter une atteinte grave et durable à un environnement équilibré et respectueux de la santé. Pour le Conseil constitutionnel, les limitations apportées par le législateur à l’exercice du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé doivent être liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi.

Au regard du cadre constitutionnel ainsi précisé, le Conseil constitutionnel relève que, en permettant le stockage de déchets radioactifs dans une installation souterraine, les dispositions contestées sont, au regard de la dangerosité et de la durée de vie de ces déchets, susceptibles de porter une atteinte grave et durable à l’environnement. Toutefois, il note également que :

  • En premier lieu, il ressort des travaux préparatoires qu’en adoptant les dispositions litigieuses, le législateur a souhaité, d’une part, que les déchets radioactifs puissent être stockés dans des conditions permettant de protéger l’environnement et la santé contre les risques à long terme de dissémination de substances radioactives et, d’autre part, que la charge de la gestion de ces déchets ne soit pas reportée sur les seules générations futures. Ce faisant, il a entendu poursuivre les objectifs de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement et de protection de la santé. Or, pour les juges constitutionnels, il ne leur appartient pas de rechercher si les objectifs que s’est assignés le législateur auraient pu être atteints par d’autres voies, dès lors que les modalités législatives retenues ne sont pas, en l’état des connaissances scientifiques et techniques, manifestement inappropriées à ces objectifs.
  • En deuxième lieu, les magistrats relèvent que l’article L.542-1 du Code de l’environnement dispose que la gestion des déchets radioactifs doit être assurée dans le respect de la protection de la santé des personnes, de la sécurité et de l’environnement et que la mise en œuvre des moyens nécessaires à la mise en sécurité définitive des déchets radioactifs doit prévenir ou limiter les charges qui seront supportées par les générations futures. À cette fin, selon ces mêmes juges, l’article L.542-10-1 entoure la création et l’exploitation d’un centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs de différentes garanties propres à assurer le respect de ces exigences. D’une part, le stockage en couche géologique profonde de tels déchets doit garantir la capacité, pour les générations successives, soit de poursuivre la construction puis l’exploitation des tranches successives du stockage, soit de réévaluer les choix définis antérieurement et de faire évoluer les solutions de gestion.

    D’autre part, la création d’un centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs est soumise à une procédure d’autorisation particulière très encadrée et soumise à un certain nombre de garanties (étude géologique, débat public, rapport de la commission nationale mentionnée à l’article L.542-3 du Code de l’environnement, avis de l’Autorité de sûreté nucléaire, avis des collectivités territoriales intéressées…). L’autorisation de mise en service est limitée à une phase pilote qui doit permettre de conforter le caractère réversible et la démonstration de sûreté de l’installation, notamment par un programme d’essais in situ. Tous les colis de déchets doivent rester aisément récupérables durant cette phase, qui comprend des essais de récupération. Les résultats de la phase pilote font alors l’objet d’un rapport de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, soumis aux mêmes autorités et personnes publiques que celles intervenant au cours de la procédure d’autorisation.

    Après la présentation d’un projet de loi adaptant les conditions d’exercice de la réversibilité du stockage, l’Autorité de sûreté nucléaire délivre l’autorisation de mise en service complète de l’installation, à la condition que la réversibilité du centre de stockage soit garantie dans les conditions prévues par la loi. Enfin, seule une loi peut autoriser la fermeture définitive du centre, qui consiste en l’achèvement de toutes les opérations et aménagements, y compris ceux qui resteront requis pour permettre les interventions éventuellement nécessaires à la maîtrise, après la fermeture définitive et à plus long terme, des risques et inconvénients que l’installation présente pour la sécurité, la santé et la salubrité publiques ou la protection de la nature et de l’environnement.
  • En dernier lieu, le Conseil constitutionnel relève que la participation des citoyens est assurée tout au long de l’activité du centre de stockage par le biais d’une mise à jour, tous les cinq ans, en concertation avec l’ensemble des parties prenantes et le public, d’un plan directeur portant sur son exploitation.

De l’ensemble de ces motifs, le Conseil constitutionnel déduit que, compte tenu de ces garanties, les dispositions contestées ne méconnaissent pas les exigences de l’article 1er de la Charte de l’environnement tel qu’interprété à la lumière du septième alinéa de son préambule. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

Cette décision doit être saluée, car elle affirme pour la première fois la dimension intertemporelle de la protection de l’environnement. Mais, elle est également largement insatisfaisante en dépit de ce “droit des générations futures”, car, par son intervention, le Conseil constitutionnel ne fait pas taire pour autant les doutes et les mécontentements sur ce projet d’enfouissement de déchets radioactifs. D’autres batailles judiciaires menées par des associations environnementales sont d’ailleurs encore attendues sur ce projet très controversé.

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Président de FRD CONSULTING et de FRD LEARNING. Son expérience de juriste et d’avocat lui a notamment permis d'acquérir une solide expertise en droit immobilier public (droit de l’urbanisme, droit des collectivités territoriales, droit de l’environnement…).
- Spécialiste en droit public et en RSE
- DEA Droit public des affaires
- DESS Droit de la construction et de l'urbanisme
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