GIEC, IPBES, Stockholm Institute (1), rapport Meadows, Shift Project, Copernicus, World Economic Forum, et bien d’autres organismes scientifiques regroupent des (méta)données sur les dépassements de limites planétaires. Quand ces structures sortent des synthèses, le constat est unanime : la vie sur terre est en phase d’extinction massive (2), la température globale augmente, l’habitabilité de la planète est menacée.
On devrait s’attendre à des actions politiques engagées fortes, à une bifurcation rapide des modèles. Et pourtant il n’en est rien. Quelques paillettes jetées ici et là en parcimonie avant et après le Black Friday.
Voire pire, on accuse ces scientifiques de générer de l’éco-anxiété, de perturber la croissance et on noie leurs preuves dans des océans de fake-news.
Devons-nous cette situation à la complexité du sujet ? A la difficulté de communication des spécialistes ? A des lobbyings ultra puissants ? Comment en sommes-nous arrivés là et comment sortir de cette boucle de l’immobilisme ?
Quand le diagnostic tombe
Devant cette situation complexe, posons le sujet sur un angle médical. Monsieur Dupont est fumeur depuis l’âge de 15 ans. A 50 ans il passe un scanner, et le diagnostic tombe : Cancer. Ce dernier, risque, car nous sommes bien ici dans une gestion des risques, d’amener des complications de santé et un raccourcissement de l’espérance de vie, en plus d’une fin de vie difficile. Dans n’importe quel protocole médical, nous aurions : un arrêt du tabac, un traitement par chimiothérapie ou rayons de la tumeur, un changement du mode de vie.
Calquons ce protocole sur la biodiversité. Vous auriez ici une réaction du patient, du système : « oui mais cela ne m’arrange pas, et puis on va trouver un remède, on a encore le temps, ce n’est pas de ma faute, vous me générez de l’anxiété, oui mais j’aime ça », monsieur le docteur.
Timothée Parrique pose également ce parallèle médical de notre système avec l’image du roi. Du haut de son royaume, il est grand, beau, vaillant, dominant et gourmand. Notre roi aime les victuailles, les banquets et prend 20 kg tous les ans. Au bout de quelques années, son entourage lui conseille de réduire son train de vie alimentaire pour vivre mieux et plus longtemps. « Il va falloir ralentir ou périr » (3). La réponse pourrait être : je fais ce que je veux je suis le roi.
Nous pourrions constater que même la dernière loi européenne RSE, la CSRD, subit ce même sort. Basée sur le Green deal de l’UE, cette directive permet d’avoir un regard dans le miroir du futur (4). À travers un risque management hors du commun, elle permet d’afficher avec transparence, pertinence, et efficience, la résilience d’un modèle économique. Et pourtant même cette loi est controversée. Pointée comme trop lourde, trop coûteuse, engendrant une perte de compétitivité, elle n’arrange pas certaines structures. L’avenir nous dira si le radiologue avait bien effectué son travail
L’abondance infinie dans un monde fini
Un enfant de 5 ans peut comprendre que le nombre de bonbons dans une boîte est limité. Force est de constater que devant la complexité de notre modèle planétaire, les réactions ne sont dans cette tendance et là encore, on tire à boulets rouges sur le messager au lieu de se pencher sur le sujet. De Jean-Marc Jancovici à Philippe Bihouix (5), les vérités physiques, moléculaires, mathématiques qui dérangent sont jetées en pâture dans certaines zones médiatiques. Ce dernier auteur rappelle une règle arithmétique simple : un système disposant d’une croissance de 2 % par an double ses besoins en ressources tous les 37 ans. Imaginez les ressources planétaires nécessaires depuis la fin de la deuxième guerre mondiale ! Poussons la réflexion dans un contexte où, certaines années, la croissance mondiale a été bien supérieure à 2 % : vous mesurerez l’ampleur du sujet.
Nous rappellerons que tous les indicateurs de croissance ne posent pas tous les mêmes problèmes de soutenabilité. Multiplier par 8 la fraternité, la poésie, les rêves, les actes de compassion, l’amour de son prochain, pose bien moins de difficultés au système.
Temporalité versus réalité
Qu’est-ce qui peut expliquer cette inaction devant ce cancer, cette prise de poids ? L’Homo Sapiens est un être animé par du concret, par l’agitation de ses sens. Il faut avouer que les scénarii du GIEC nous expliquant que la dynamique des gaz à effet de serre dispose d’une temporalité longue, et que nos efforts ne se verraient pas avant plusieurs dizaines d’années perturbent grandement la chose. Cela reviendrait à dire à notre roi en surcharge pondérale : « mettez-vous au régime monseigneur dès maintenant, vous commencerez à perdre du poids dans quelques années ». Cette métaphore pourrait commencer à répondre à la question que beaucoup se posent : « pourquoi tout le monde se moque de l’écologie ? »
Et c’est peut-être sur l’angle de neurosciences qu’une partie de la réponse nous arrive telle la lumière au bout du tunnel. Le docteur Albert Moukheiber confirme que notre cerveau n’est pas programmé pour déclencher des changements sur des prédications, des prévisions. C’est quand il est impacté avec du réel, du palpable, que son système neuronal passe à l’action, ce qu’il appelle « skin in the game » (6).
Vos parents vous ont dit à de multiples reprises que mettre son doigt dans la porte c’est dangereux, et pourtant vous ne comprendrez pas mieux la chose qu’en réaction à la douleur lorsque vous sentirez la pression sur votre phalange.
Écoutons les scientifiques, écoutons notre raison, écoutons notre cœur. Jean-Pierre Goux nous ouvre une porte poétique en posant, dans son dernier ouvrage, un espoir devant ce constat :
« La planète est un miracle, le fait d’être vivant est aussi un miracle….. Retrouvons nos yeux d’enfants, reconnectons-nous à l’essentiel et regardons notre planète avec le cœur….. Lorsqu’ils étaient unis par le cœur, les sapiens étaient capables de merveilles..(7) ce regard déclenchant la naissance d’homo biospheris ».
Bienvenue à cette nouvelle espèce ! Nous avons hâte de la rencontrer…
1 – https://www.stockholmresilience.org/research/planetary-boundaries.html
2 – https://www.ecologie.gouv.fr/rendez-vous/cop16-biodiversite
3 – https://shs.cairn.info/revue-ecologie-et-politique-2023-1-page-179?lang=fr
4 – https://www.rse-responsables.com/norme/csrd-le-miroir-du-futur/
5 – https://youtu.be/tq8VQ4ntlc0?si=yT9iwKClj-_P3TO6 Jancovici & Bihouix
6 – https://youtu.be/dtQZmcxm0qE?si=iNFrICtnOcTXOWQ2 Albert Moukheiber
7 – https://www.revolutionbleue.fr/
Sébastien BOLLE est président de l'association RESO2D.
Structure engagée dans la pédagogie de la RSE, des ODD auprès des citoyennes et citoyens.
Au quotidien, coordinateur RSE dans l'industrie, il a à cœur d'accompagner les changements de modèles.
Vacataire à l'école centrale de Nantes, il partage quelques clés pour un monde durable auprès des jeunes publics.
Il anime des conférences sur le territoire nantais où il est ambassadeur de la plateforme RSE depuis 10 ans.