C’est l’histoire d’une entreprise d’un milliard de dollars, fondée par un alpiniste, qui est devenue une association à but non lucratif et qui a demandé aux gens de ne pas acheter ses produits.
C’est l’histoire de Patagonia.
Une entreprise de vêtements qui a changé ce que signifie être une entreprise de vêtements. Ce faisant, elle a ouvert la voie à une nouvelle façon de faire des affaires : L’entreprise orientée vers un but précis (Purpose-driven Business).
Patagonia vient de publier un nouveau documentaire humoristique intitulé « Le Shittrophocène ». Il commence par introduire l’idée développée par de nombreux historiens et scientifiques que nous entrons dans une nouvelle ère l’anthropocène, rebaptisée pour l’occasion : « Shittrophocène ». Une époque où les choses sont tout simplement plus merdiques.
Le problème est que si nous, humains d’aujourd’hui, avons accès à un niveau de connaissances jamais atteint, la plupart de nos décisions sont guidées par des instincts de survie subconscients, presque entièrement fondés sur la peur.
Et que certains d’entre nous (au sens collectif et corporatif du terme) sont devenus plutôt doués pour détourner ces instincts de survie afin de nous faire ressentir le besoin d’acheter des choses. Plus de choses. Tout le temps.
Le marketing nous dit que la récompense de tous ces achats est le bonheur. Si c’était vrai, les gens qui achètent toujours plus seraient les plus heureux de la planète….
Dans les premiers temps de Patagonia, le fondateur, Yvon Choinard, s’inquiétait du fait que les gens achetaient tout simplement trop. Ils achetaient trop de tout. Y compris de vêtements Patagonia.
Lors du Black Friday de 2011, Patagonia a donc publié une annonce dans le New York Times. Elle disait : « N’achetez pas cette veste ».
Le message était simple. Nous sommes dirigés par une machine qui transforme les ressources en argent et remplit nos décharges de choses dont nous ne voulons plus ou dont nous n’avons plus besoin.
N’achetez donc une veste Patagonia que si vous en avez besoin.
Et si vous en avez une et qu’elle est cassée ou usée, n’en achetez pas une autre. Envoyez-la-nous et nous la réparerons pour vous.
Le principe de base est que si vous faites ce qu’il faut, les gens voudront faire ce qu’il faut avec vous. Vous finirez donc par gagner plus d’argent.
C’est ce qui a fait le succès de Patagonia. Et c’est ce qui fait le succès de plus en plus d’entreprises dans le monde qui choisissent de faire ce qu’il faut, qui choisissent la qualité et la durabilité plutôt que « la merde jetable à usage unique », et qui choisissent de fabriquer et d’utiliser les choses le plus longtemps possible.
C’est ici que l’écrivain épris d’équilibre et de justice qui est en moi devrait ressentir le besoin d’exposer l’antithèse de la thèse de Patagonia.
Je devrais remplir les deux ou trois paragraphes suivants d’un traité expliquant comment le fait de dire aux gens de ne pas acheter vos produits revient simplement à manipuler les mêmes instincts de survie et les mêmes moteurs psychologiques que ceux utilisés par la mode rapide, mais d’une manière différente.
Je devrais souligner le cynisme de la fabrication de vêtements de plein air à partir de tissus artificiels et de bases pétrolières, tout en prétendant faire des affaires pour sauver la planète.
Et je suis sûr que je devrais faire plus qu’un clin d’œil à l’hypocrisie de faire un film qui déplore l’impact des vêtements bon marché alors qu’une veste Patagonia coûte autant que ce qu’un travailleur au salaire minimum gagne en une semaine.
Mais je ne ferai rien de tout cela.
Parce que je crois en effet qu’Yvon Choinard, le fondateur de Patagonia, a raison.
Nous ne pouvons espérer relever aucun des plus grands défis auxquels nous sommes confrontés – sociétaux ou environnementaux – sans que les entreprises soient en première ligne.
Les ONG n’ont pas d’argent. Les gouvernements sont trop lents. Seules les entreprises peuvent (pardonnez le cliché) sauver le monde.
Mais pour cela, les entreprises doivent gagner de l’argent.
C’est ainsi que Patagonia a ouvert la voie à quelque chose d’extrêmement important : l’idée que faire ce qu’il faut permet de gagner plus d’argent que de ne pas faire ce qu’il faut.
En créant des produits qui durent tout en encourageant les gens à consommer moins, Patagonia a en fait gagné plus d’argent que ses concurrents.
Et même si elle est imparfaite, elle a ouvert la voie à une nouvelle façon de faire des affaires.
Le film se termine par une question : y a-t-il de l’espoir ?
Eh bien, oui, il y en a.
Car lorsque nous admettrons enfin que les choses qui nous apportent le plus de bonheur sont les relations et le sens du « purpose », nous n’aurons pas seulement redéfini l’entreprise, nous aurons redéfini la société.
Jon Duschinsky est un leader d’opinion mondial, un innovateur social et un des fondateurs du mouvement Business for Good.
En travaillant avec des dirigeants tournés vers l’avenir, il accélère l’innovation, l’impact social et environnemental et leur capacité à retenir les talents (en particulier les GenZ et les Millennials).
Jon a fourni des conseils d’expert à des clients dans plus de 60 pays, notamment Airbus, Accor, Pernod-Ricard, Sodexo, NASCAR, Prudential et Maybank, ainsi qu’aux gouvernements de l’Allemagne, des États-Unis, de la France et des Émirats arabes unis. En outre, il a coaché des centaines de dirigeants et de futurs dirigeants, écrit deux livres et donne régulièrement des conférences universitaires partout dans le monde.