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La RSE est morte, Vive la RSE

Cette formule qui marquait le décès d’un souverain et l’avènement de son successeur semble aujourd’hui, en 2025, de mise pour la RSE.

Oui la RSE telle que nous la connaissions ou la souhaitions, est morte un jour de novembre 2024 quand D Trump a été réélu président des États-Unis d’Amérique. Les grandes entreprises de la technologie, les grands investisseurs, les multinationales ont compris qu’un nouvel âge d’or économique se profilait. Que la puissance américaine maniant carotte et bâton allait certainement dicter son rythme à tous les pays et toutes les économies et qu’il était donc temps de ne plus s’embarrasser de normes et de pratiques qui étaient autant de freins à une maximisation libérale du profit.

La philosophie du fondateur de Patagonia, Yvan Chouinard, de céder 100% de son entreprise à une fondation qui affectera les dividendes de l’entreprise dans le financement d’actions destinées à lutter contre le réchauffement climatique, à hauteur de 100 millions de dollars par an ne semble plus aussi partagée qu’il y a encore quelques mois.

On pensait la Silicon Valley démocrate et soucieuse de la diversité et des communautés, elle se dévoile républicaine et avide de retrouver un fonctionnement fondé sur la loi du plus fort et l’absence de favoritisme pour les minorités. Les entreprises américaines de Meta à Blackrock, de Tesla aux banques se sont engouffrées dans une brèche spatiotemporelle qui nous replongerait dans les années 60 avec les techniques du 21e siècle.

Il n’est pas étonnant que cela soit aux États-Unis d’Amérique que le mouvement des « tradwives » ai pris son envol, que l’avortement et la liberté des femmes soient maintenant contestés faisant de « la servante écarlate » une uchronie inversée où ce n’est pas le passé qui est réécrit, mais bien le présent, que la discrimination positive cède la place à la discrimination tout court et que le wokisme soit balayé par ses propres excès.

Les choses sont claires de l’autre côté de l’Atlantique et on peut imaginer qu’au cours des quatre prochaines années nous allons aller de surprise en surprise.
Le problème c’est que ce mouvement, de fond nous verrons, va traverser l’Atlantique et séduire en Europe. On peut maintenant se poser la question de ce qui va en être sur le Vieux Continent.

Va-t-on maintenir un idéalisme utopique gouverner notre fonctionnement où va-t-on accepter de comprendre que la concurrence économique est un synonyme de guerre économique et que dans ce cas tous les moyens sont bons et doivent être utilisés à peine de disparaitre ? Or l’argent qui est le nerf de la guerre – de toutes guerres – n’est pas la ressource la plus répandue en Europe.

La RSE a eu du mal à se présenter comme un atout pour les entreprises. L’action de la Fondation Oïkos et de la Cité de la RSE et de l’Impact a été bénéfique pour rationaliser et encadrer une démarche qui pouvait sembler un peu « fourre-tout ». Il fallait a minima cela pour expliquer que la RSE participait de l’élaboration d’une stratégie d’entreprise et pas seulement être l’occasion d’une séance de team building autour d’une fresque. Sans l’implication de la fondation Oïkos la RSE aurait surtout été perçue au mieux comme une tendance dans l’air du temps à laquelle il fallait souscrire, au pire comme des Fourches caudines entravant ou freinant le développement de l’entreprise.

Aujourd’hui le paradigme dans lequel évoluaient les entreprises et donc la RSE change et risque d’être modifié en profondeur. Si la RSE veut survivre au cours des prochaines années, elle va devoir clairement se réinventer.

« La tactique, c’est ce que vous faites quand il y a quelque chose à faire. La stratégie, c’est ce que vous faites quand il n’y a rien à faire » professait le grand-maitre échiquéen Tartakover. Pour la RSE l’heure est celle de la stratégie et non plus celle de la tactique.
La stratégie de la RSE doit assurément d’être de se souvenir que le E qui termine son acronyme n’est pas un accessoire, mais bien l’essentiel de ses préoccupations. Cela n’a pas toujours été le cas, il faut que cela change.

L’environnement actuel va devenir exigeant. Soit la RSE arrivera à évoluer, soit elle deviendra une tendance de mode passée. Il faut que les gourous et autres druides qui avaient tendance à faire de la RSE un « new age » de l’entreprise qui évoluerait dans un monde proche de celui des bisounours cèdent la place.

Pour reprendre un titre de film de Jean Yann, la RSE ce n’est pas « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ». Pendant quelque temps on a pu penser que le E de RSE avait été effacé des consciences. Des professeurs comme Stéphane Trebucq (IAE Bordeaux) n’ignoraient pas la valeur et le poids de ce « E » pour Entreprise. Il n’est pas le seul, mais étaient beaucoup plus bruyants ceux qui expliquaient que la RSE et ESG et ISR annonçaient l’arrivée d’un âge béni de l’entreprise ou, celle-ci placerait au centre de ses priorités des vertus sociales plus qu’économiques, Emmanuel Faber chez Danone a pu constater que cette heure n’avait pas encore sonné.

La RSE n’est pas dénuée d’atouts pour favoriser la performance des entreprises, mais elle doit savoir s’adapter à une concurrence qui se dope en l’ignorant. Si sur le terrain il n’y a plus d’arbitre ou que celui-ci est partial alors, l’équipe qui respectera les règles du jeu sera nécessairement battue par celles qui s’en affranchiront.

Aujourd’hui le temps est celui du constat. Il faut travailler à trouver des lignes directrices qui permettront, au moins dans l’espace de l’Union européenne, de disposer des mêmes armes que ses concurrents et avoir en dehors de ce marché unique une stratégie faite de pragmatisme, d’opportunisme et de souplesse.

La RSE ne doit plus être axée prioritairement sur la formation des salariés, mais plutôt sur celle du top management et des relais d’opinions et politiques pour démontrer l’intérêt d’une démarche qui peut satisfaire les européens – naturellement attachés à un cadre de vie et un confort au travail – tout en introduisant des normes donnant un avantage concurrentiel aux entreprises locales sur leur marché. À ce propos on peut raisonnablement s’interroger sur la pertinence de la CSRD telle qu’elle est conçue aujourd’hui qui revient à faire de chaque entreprise européenne un livre ouvert pour leurs concurrents. Ce problème avait déjà été identifié il y a quelques décennies quand les entreprises s’étaient entichées de certification ISO s’apercevant parfois un peu tard qu’elles dévoilaient sans pudeur leurs organisations et secrets de fabrication à des cabinets de consultants qui n’étaient pas toujours bienveillants. La CSRD vise à reproduire le même schéma en semblant ignorer que les big 4 par exemple, souvent des sociétés américaines, sont tenues de communiquer aux autorités fédérales américaines les informations qui leurs seraient demandées.

Toutes les sociétés américaines du fournisseur informatique aux avocats en passant par la finance sont de toute façon tenues d’agir de la sorte. BNP Paribas en sait quelque chose, les 9 milliards d’amendes qui lui ont été infligés, elle les doit en grande partie à ses propres avocats américains qui, au courant de tout, ont collaboré avec les autorités fédérales. Le secret bancaire suisse n’a pas survécu à la volonté américaine de le voir disparaitre à peine de ne plus autoriser les banques suisses à opérer sur le marché américain.

Avec Trump aux commandes et sa volonté d’imposer America first on doit rebattre toutes les cartes de nos fonctionnements et de nos relations avec des sociétés américaines et repenser les règles de la concurrence mondiale à l’aune de cette nouvelle donne. La RSE fait partie de l’équation et la formule qui doit lui permettre d’être un facteur de croissance pour une entreprise reste encore à trouver.

La première responsabilité sociétale d’une entreprise c’est d’exister et de se développer bien plus que de s’assurer du bien-être des employés d’un sous-traitant de sous-traitant situé à l’autre bout du monde. C’est en veillant à cette priorité que l’entreprise pourra ensuite avoir les moyens de son ambition sociétale internationale. La RSE 1.0 est morte, Vive la RSE 2.0 !

nicolas-leregle
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Avocat au barreau de Paris, Associé RESPONSABLES

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