Nathalie Gimenes, vous avez publié aux éditions de l’Observatoire : « Industrie pharmaceutique : l’heure du choix ». Vous évoquez la « singularité » de l’industrie pharmaceutique. Quel en est le contour ?
L’industrie pharmaceutique est liée à la société par un « contrat social » implicite singulier, elle est très « encastrée socialement ». Ses capacités de développement et sa performance ne peuvent se concevoir qu’au regard de celles des politiques et systèmes nationaux de santé. C’est en prenant appui sur la recherche fondamentale publique et sur les brevets que les entreprises pharmaceutiques innovent. C’est grâce à la socialisation de la santé que ces entreprises se développent économiquement. En contrepartie de ces privilèges, la société attend des laboratoires qu’ils produisent de la santé publique et qu’ils mènent leurs activités d’une manière socialement et écologiquement responsable.
L’industrie pharmaceutique, en temps de COVID, a fait l’objet d’un déchainement complotiste. Malgré des démarches RSE engagées, a-t-elle une responsabilité dans l’ampleur de ce phénomène ?
La défiance envers cette industrie s’est construite au rythme des scandales sanitaires apparus depuis les années 50 et est liée à son modèle économique, remettant en cause sa réelle contribution à la santé publique. En 2020, selon l’OMS, 2 milliards de personnes n’ont toujours pas accès aux médicaments essentiels. Pendant la crise Covid-19, le fait que les vaccins Pfizer ou Moderna se présentaient comme les plus importants blockbusters de l’histoire des vaccins, générant pour les firmes des milliards d’euros, alors que les inégalités d’accès aux vaccins se creusaient, ne pouvait qu’alimenter la défiance. L’accord entre ce que souhaite payer la société pour sa santé et le modèle traditionnel capitalistique des laboratoires est un équilibre extrêmement fragile qui demande à être rénové.
En définitive, l’enjeu principal pour l’industrie pharmaceutique n’est-il pas de « produire de nouveau de la santé publique » et ne faut-il pas remettre en cause pour cela le modèle économique source de nombreuses dérives ?
Le modèle de consommation de médicaments d’aujourd’hui montre ses limites pour répondre aux défis transfrontaliers de santé publique. Il ne peut se transformer que si les gouvernements acceptent d’être moins nationalistes et d’endosser un rôle plus entrepreneurial en investissant collectivement davantage dans la santé et en particulier dans la recherche pour en partager les risques avec les industriels et leurs investisseurs. Ce nouveau capitalisme pharmaceutique partenarial reposerait sur le partage du risque et aussi le partage du succès en valorisant la performance d’usage des produits et leur utilité sociétale, par exemple, valoriser la réduction du nombre de décès, la baisse des hospitalisations ou encore le nombre de pays approvisionnés. J’appelle à l’expérimentation de ce modèle de la coopération et de la fonctionnalité au sein de la nouvelle Agence de l’innovation en santé (AIS) en France en lien avec l’Autorité européenne de préparation et de réaction aux urgences sanitaires (HERA).
Propos recueillis par Bertrand Coty
Nathalie Gimenes est docteure en sciences de gestion, conférencière, essayiste, consultante experte en stratégie et gouvernance d’entreprise (RSE, raison être, société à mission), directrice pédagogique de formations pour cadres dirigeants et décideurs au sein de l’École des MINES ParisTech | PSL Executive Education, et enseignante vacataire à l’Université Paris Dauphine. Ses travaux de recherche s’intéressent au lien entre RSE et modèles d’affaires, lien qu’elle a particulièrement analysé dans l’industrie pharmaceutique où elle a passé 26 ans de sa carrière professionnelle.
Nathalie Gimenes est présidente de BE-CONCERNED
« Accélérer le développement d'un monde des affaires responsable et solidaire »
Nathalie est également l’auteure de l’ouvrage « Industrie pharmaceutique : l’heure du choix », publié aux Éditions de L’Observatoire, 2021
www.linkedin.com/in/nathalie-gimenes
Twitter : @GimenesNathalie