En Italie, changer l’économie signifie faire participer la communauté à la construction du système socio-économique au même titre que l’État et les acteurs du marché.
Cette vision, en rupture avec la pensée classique qui gouverne les économies occidentales depuis trois siècles et qui a porté à la dystopie du système générant toujours plus d’inégalités et de pauvreté ne date pas d’hier. Héritière d’une tradition d’économie sociale et à l’origine de l’Économie Civile depuis le XVIIIe siècle, l’Italie renoue avec ses valeurs fondamentales de réciprocité et de bien commun, dans une clé de « Responsabilité Sociale des Entreprises » telle que nous l’entendons aujourd’hui.
L’Économie Civile, première chaire d’économie au monde
L’expression « Économie Civile » trouve son origine en 1753, année où l’université de Naples Federico II créée la première chaire universitaire d’économie au monde. Elle la baptise « Économie Civile ». Dans son ouvrage fondateur “Delle lezioni di commercio o sia di economia civile” l’économiste teneur de la chaire, Antonio Genovesi expose alors que l’ordre social repose sur la triade État – Marché -Communauté.
À la même époque, les Anglo-saxons plantent les germes d’une autre approche. Une approche qui exclut les membres de la communauté, en réduisant la participation de l’individu à la vie économique à son unique dimension rationnelle. Apparait alors l’Homo Oeconomicus, une espèce dépossédée de sa dimension sociale et de l’idée même de désir. Pire, une espèce qui doit affronter ses pairs pour survivre. Deux visions du monde, deux paradigmes. L’un devant céder sa place à l’autre.
Pour l’économiste Stefano Zamagni à qui l’on doit la redécouverte des textes de Genovesi : « L’Économie Civile, c’est une histoire différente de l’économie, une histoire qui a des racines italiennes anciennes, dans le présent. Et ces racines donnent encore vie à nos quartiers, aux entreprises familiales, aux coopératives, à tout ce qui a trait à une manière différente et aussi, si l’on veut, latino-méditerranéenne de faire l’économie ».
Et d’ajouter : « Il est devenu prioritaire d’intervenir sur les règles du jeu, c’est-à-dire sur les institutions qui, comme nous le savons, sont liées aux structures de pouvoir qui président à la distribution des ressources et des bénéfices ».
De la recherche au Festival Nazionale dell’Economia Civile
Après 25 années de travaux de recherche, Zamagni créée la Scuola d’Economie Civile (SEC) en 2012. En 2018, il lance le Festival Nazionale dell’Economia Civile. En 2020, au lendemain de la pandémie, des représentants de la société civile s’engagent en présence du Président Mattarella à agir en faveur d’une économie toujours plus participative et plus durable en signant la Carta di Firenze. En 2023, ce sont près de 300 personnalités italiennes parmi lesquelles de nombreux économistes qui s’engagent au travers du Manifesto della Nuova Economia, pour une économie qui valorise au mieux le potentiel de la coopération, de l’intelligence émotionnelle et de l’intelligence relationnelle en se basant sur la dimension sociale et la capacité générative des citoyens, des entreprises, des associations et des universités.
La 6e édition du FNEC qui s’est tenue à Florence du 3 au 6 octobre dernier autour du slogan « L’ora di partecipare » s’est concentrée sur le concept de participation en tant que clé d’un nouveau modèle de développement économique, mais aussi sur le développement durable en tant que moteur d’innovation et de compétitivité pour le système industriel italien.
« Notre enquête sur le tissu productif national montre clairement que les entreprises les plus attentives au développement durable sont aussi celles qui se développent le mieux. La participation et la développement durable sont deux aspects fortement corrélés et déterminent un climat organisationnel fortement générateur, permettant aux entreprises de croître non seulement en termes de bénéfices, mais aussi en termes de compétitivité » explique Luca Raffaele, directeur de NeXt-Nuova Economia per Tutti.
Parmi les intervenants nationaux, notons la participation d’Andrea Abodi (ministre des Sports et de la Jeunesse), d’Orazio Schillaci (ministre de la Santé) et de Maurizio Leo (vice-ministre de l’Économie et des Finances), mais aussi de Melissa Parke (directrice exécutive de la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires – ICAN, prix Nobel de la paix 2017), d’Alberto Acosta (économiste, ancien ministre de l’Énergie et des Mines et président de l’Assemblée constituante de l’Équateur dans les années 2007 – 2008) et de Jeffrey Sachs (professeur d’économie à l’Université de Columbia).
Cette année, parmi les nouveautés, le FNEC a présenté un modèle d’innovation sociale participatif inspiré du prix Nobel Muhammad Yunus au travers d’un hackaton auquel ont participé étudiants et membres de la société civile pour que Florence puisse être la première ville où les acteurs du territoire participent activement à la construction d’un modèle économique non exclusivement orienté au profit.
Devenu un rendez-vous au fil des ans, le Festival s’est tracé un chemin clair, consolidant son rôle dans le monde économique, produisant également des documents stratégiques comme la recherche BenVivere, des lignes opérationnelles qui modifient l’approche culturelle du pays et des lignes directrices qui ont été adoptées par le Conseil de l’Europe.
L’ensemble des acteurs de l’écosystème italien promeut ainsi une nouvelle économie durable et inclusive comme le montrent de nombreuses entreprises et coopératives, qui repensent leurs objectifs en fixant le bien-être pour tous comme objectif de l’économie, l’utilisation des seules ressources régénérables de notre Terre comme limite et le profit comme une nécessité pour pouvoir investir et innover et comme une incitation à fonctionner.
Un parcours national qui s’inscrit également dans un cadre juridique depuis une réforme en 2022 qui a permis d’introduire le développement durable dans la Constitution pour la protection du bien commun.
Sophie Her s’est spécialisée en Responsabilité Sociale des Entreprises avec une verticale sur le bien-être organisationnel, après une carrière dans le domaine de l’information et de la communication. Ayant toujours construit des ponts entre les personnes, les entreprises et leur écosystème, elle accompagne aujourd’hui les organisations dans leur transformation, convaincue qu’elles sont de puissants agents du changement.
Installée en Italie depuis 15 ans, elle est membre du conseil d'administration de CCI France Italie et Master advisor de l'Italian Institute for Positive Organizations. Elle est par ailleurs diplômée de Skema Business School et d'un Master en Sciences de l'Information de l'École de Guerre Economique.