Les dispositions de la Corporate Sustainable Reporting Directive (CSRD), qui entreront en vigueur progressivement à partir de l’exercice 2024, résultent de la révision de la première directive européenne, NFRD (Non Financial Reporting Directive), adoptée en 2014, qui impose aux sociétés cotées et aux sociétés non cotées de plus de 500 salariés de diffuser des informations sociales et environnementales.
Depuis son adoption, le 10 novembre 2022 par le Parlement européen, un vent de panique souffle sur les entreprises européennes qui pour une grande majorité d’entre elles n’étaient jusqu’à présent pas concernées par les obligations. Devront désormais publier un rapport d’informations extra-financières, toutes les sociétés cotées sur les marchés règlementés européens y compris les PME (à l’exception des microentreprises), toutes les sociétés au-dessus de deux des trois seuils suivants : 250 salariés ; 40 M€ de chiffre d’affaires et 20 M€ de total de bilan et certaines sociétés non-européennes par le biais de leurs filiales ou succursales, pour autant que leur chiffre d’affaires réalisé dans l’UE soit supérieur à 150 M€.
La CSRD est un élément déterminant du Green Deal européen dont l’ambition est de transformer l’économie et la société européennes avec comme objectifs ultimes de faire de l’UE le premier continent climatiquement neutre d’ici 2050, de restaurer la biodiversité et d’améliorer la qualité de vie des citoyens européens. Elle joue un rôle central pour garantir que les informations de performances environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) fournies par désormais prés de 50 000 entreprises, soient comparables, fiables et pertinentes.
Il s’agit de permettre aux parties prenantes, en particulier les investisseurs, les consommateurs et les régulateurs de prendre des décisions éclairées afin d’avoir accès à une finance durable et de soutenir et promouvoir la durabilité dans l’économie européenne.
Cependant, il est notable que la Commission européenne a fait marche arrière sur certaines obligations clés prévues initialement dans la CSRD. Son acte délégué, publié le 31 juillet 2023, établit des lignes directrices mettant en lumière les compromis qui ont été réalisés.
Si le texte conserve les 12 normes Environmental and Social Reporting Standards (ESRS) que l’EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group) proposait comme obligatoires, il conditionne désormais la publication d’informations à une analyse de double matérialité, qui devient ainsi la pierre angulaire de la CSRD. Autrement dit, les entreprises ne déclareront finalement que les informations qu’elles évalueront matérielles pour leurs activités et pour la société en général.
La double matérialité, la pierre angulaire de la CSRD
La double matérialité permet à l’entreprise d’évaluer les impacts négatifs ou positifs de ses activités sur des tiers et l’environnement naturel (matérialité impact) et les effets qu’exercent les enjeux de durabilité sur sa performance en termes de risques et d’opportunités (matérialité financière). C’est sur cette base qu’elle évalue l’importance relative des informations sociales et environnementales à publier ou non dans son rapport ESG. À noter que l’approche européenne diffère de celle adoptée par l’International Sustainability Standards Board (ISSB) présidé par Emmanuel Faber, qui privilégie la « matérialité financière ».
Les ESRS quant à eux, offrent aux entreprises un ensemble cohérent de préconisations pour évaluer, mesurer et rapporter leurs impacts sur les enjeux de durabilité comme le changement climatique, la biodiversité, les droits de l’homme, la conduite des affaires, la sécurité des consommateurs et des travailleurs de la chaine de valeur, etc. Les ESRS tiennent compte par ailleurs des discussions avec l’ISSB et le Global Reporting Initiative (GRI) afin de garantir une interopérabilité aussi grande que possible entre les normes de l’UE et les normes mondiales afin d’éviter une double déclaration inutile par les entreprises.
Des exceptions concernant le climat
S’agissant du climat, une exception a cependant été retenue, puisque ce sera à l’entreprise de prouver que son activité n’a pas de répercussions sur le climat si elle choisissait de ne pas publier d’informations sur cet enjeu qu’elle aura jugé comme non matériel. Ce qui en pratique revient à contraindre l’entreprise à une analyse approfondie de l’impact de ses activités sur le réchauffement climatique. Sur ce point, la Commission européenne a souhaité que les entreprises de moins de 750 employés aient une année de plus pour publier des informations relatives à leurs émissions de gaz à effet de serre indirectes en lien à leur scope 3 (émissions en amont et en aval qui ne sont pas sous le contrôle de l’entreprise).
Un équilibre délicat à trouver
Les raisons de ces réajustements reflètent les défis complexes auxquels sont confrontés les décideurs politiques dans la poursuite de l’équilibre entre la durabilité, la compétitivité et la réalité opérationnelle des entreprises. Certains secteurs industriels ont fait valoir que les obligations proposées représentaient une charge administrative importante en particulier pour les PME, dans un contexte économique déjà difficile et pouvaient par ailleurs compromettre leur compétitivité, alors même que ces obligations n’étaient pas encore mondialement harmonisées.
Ces préoccupations ont poussé la Commission à chercher un équilibre délicat entre la réglementation, la préservation de la compétitivité et la réalité opérationnelle des entreprises. Certains considèrent ce recul comme une concession nécessaire pour garantir l’acceptation et la mise en œuvre effective de la directive par les entreprises. D’autres, en particulier les investisseurs, eux-mêmes soumis à des obligations de reporting ESG, craignent que cela ne facilite pas la comparabilité entre les entreprises leur permettant une prise de décision éclairée, ce qui était l’une des ambitions initiales de la CSRD.
La question de savoir si ces compromis compromettent l’ambition globale de la directive reste un sujet de débat. L’avenir révélera dans quelle mesure la CSRD parviendra à atteindre son objectif ultime, celui de transformer les pratiques commerciales européennes vers une voie plus durable et responsable. D’ici là, l’avenir du texte se joue au Parlement et au Conseil européen. Les institutions ont deux mois pour valider ou non l’acte délégué. En l’absence d’objection, les standards entreront en vigueur au 1er janvier 2024.
Nathalie Gimenes est docteure en sciences de gestion, conférencière, essayiste, consultante experte en stratégie et gouvernance d’entreprise (RSE, raison être, société à mission), directrice pédagogique de formations pour cadres dirigeants et décideurs au sein de l’École des MINES ParisTech | PSL Executive Education, et enseignante vacataire à l’Université Paris Dauphine. Ses travaux de recherche s’intéressent au lien entre RSE et modèles d’affaires, lien qu’elle a particulièrement analysé dans l’industrie pharmaceutique où elle a passé 26 ans de sa carrière professionnelle.
Nathalie Gimenes est présidente de BE-CONCERNED
« Accélérer le développement d'un monde des affaires responsable et solidaire »
Nathalie est également l’auteure de l’ouvrage « Industrie pharmaceutique : l’heure du choix », publié aux Éditions de L’Observatoire, 2021
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Twitter : @GimenesNathalie