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CSRD : La cotation des IRO, un outil ou un piège ?

La mise en œuvre de la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) constitue une avancée majeure dans le domaine du reporting extra-financier en Europe. En intégrant la durabilité au cœur des stratégies des entreprises, cette directive vise à transformer les pratiques économiques pour les aligner sur les objectifs de transition écologique et sociale. Cependant, l’interprétation des normes associées, notamment en ce qui concerne la cotation des impacts, risques et opportunités (IRO), soulève des débats importants sur leurs implications pratiques et éthiques. Nous explorons les enjeux et les perspectives liés à cette controverse, en mettant en lumière les tensions entre les objectifs stratégiques de la CSRD et les intérêts économiques des acteurs impliqués.

La CSRD : un cadre ambitieux pour la durabilité

La CSRD représente une évolution significative par rapport à la précédente Non-Financial Reporting Directive (NFRD). Elle élargit le champ d’application du reporting extra-financier en incluant un plus grand nombre d’entreprises et en renforçant les exigences en matière de transparence. L’objectif est de fournir aux parties prenantes des informations plus complètes et comparables sur les performances environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) des entreprises. En imposant une double matérialité, la CSRD oblige les entreprises à évaluer non seulement l’impact de leurs activités sur la société et l’environnement, mais aussi l’impact des enjeux de durabilité sur leur performance financière.

La controverse autour de la cotation des IRO

Un des aspects les plus discutés des European Sustainability Reporting Standards (ESRS) concerne la cotation des IRO. Selon le Directeur technique de l’Autorité des Normes Comptables (ANC) en France, « il n’y a aucune obligation de coter les impacts, risques et opportunités en fonction de leur gravité ». Cette clarification vise à corriger une interprétation erronée des normes, souvent encouragée par certains acteurs du conseil et de l’audit, qui prônent une approche systématique et chiffrée. Cette démarche, bien que potentiellement utile pour structurer les priorités stratégiques, risque de devenir un processus bureaucratique, déconnecté des enjeux réels des entreprises.

Les perspectives variées sur la cotation des IRO

La communauté des experts et praticiens exprime des avis divergents sur la pertinence de la cotation. Certains soulignent son utilité pour hiérarchiser des effets parfois négligés. Par exemple, dans l’industrie agroalimentaire, des entreprises pourraient avoir des impacts négatifs connus (produits ultratransformés, sucrés, gras) mais non traités de manière stratégique. Une cotation bien réalisée pourrait inciter à une meilleure prévention de ces impacts. Cependant, cette approche dépend de la qualité et de l’intention qui sous-tendent son application, distinguant ainsi entre la cotation en tant qu’outil et la transparence véritable de l’entreprise.

D’autres mettent en avant l’importance d’identifier les vulnérabilités pour élaborer des plans d’action efficaces. Comment évaluer ce qui est pertinent sans connaître les vulnérabilités ? Cette position met en exergue le rôle central de la prévention et du management stratégique des risques dans le cadre de la CSRD. La cotation n’est qu’un outil parmi d’autres pour structurer la démarche RSE interne et aligner les parties prenantes. En fin de compte, l’objectif demeure la priorisation des efforts sur les enjeux réellement matériels, et non la multiplication des analyses chiffrées.

Conflits d’intérêts et risques de dérives

La cotation des IRO expose également les entreprises à des conflits d’intérêts et des dérives potentielles. Certains consultants et auditeurs pourraient encourager des analyses exhaustives pour des raisons commerciales, au détriment d’une approche pragmatique et stratégique. Ce risque est exacerbé par la complexité des normes actuelles et l’absence de clarté sur certaines exigences sectorielles.

Par ailleurs, la publication des risques et opportunités peut devenir une source de vulnérabilité juridique. Une entreprise trop naïve dans ses publications pourrait involontairement révéler des informations susceptibles d’être exploitées dans un cadre contentieux. Ce point met en lumière l’importance d’un encadrement rigoureux des pratiques de reporting.

Hiérarchisation versus cotation : quel rôle pour les entreprises ?

Un consensus semble émerger sur la nécessité de hiérarchiser les enjeux de durabilité, qu’elle soit accompagnée ou non d’une cotation chiffrée. Toute entreprise réalise des arbitrages dans l’allocation de ses moyens, ce qui met en évidence l’importance de prioriser les ressources pour maximiser leur effet.

Cependant, comme l’a rappelé Éric Duvaud, il est essentiel de ne pas concentrer tous les efforts sur l’analyse de double matérialité à ce stade. Les normes sectorielles en cours de développement apporteront des clarifications supplémentaires sur ce qui est réellement matériel pour chaque secteur, évitant ainsi des investissements inutiles dans des analyses complexes.

CSRD : un cadre évolutif et pragmatique

Au-delà du débat sur la cotation, la CSRD représente une opportunité unique pour transformer le pilotage stratégique des entreprises. En intégrant la double matérialité, elle impose une réflexion approfondie sur les interactions entre les activités économiques et les enjeux de durabilité. Toutefois, son succès dépendra de la capacité des parties prenantes à adopter une approche pragmatique et adaptée aux spécificités de chaque entreprise.

La double matérialité est un outil d’aide à la prise de décision, et non une finalité en soi. Son objectif est de structurer la démarche RSE pour qu’elle devienne un levier stratégique, plutôt qu’une contrainte bureaucratique.

Trouver l’équilibre

Le débat sur la cotation des IRO illustre les tensions entre les exigences normatives de la CSRD et les attentes pratiques des entreprises. Si la cotation n’est pas obligatoire, elle peut jouer un rôle utile pour structurer et hiérarchiser les enjeux, à condition de ne pas en faire un instrument de complaisance ou une source de surcharge administrative.

La CSRD appelle à un apprentissage collectif, où entreprises, auditeurs et régulateurs devront collaborer pour naviguer dans un cadre complexe mais prometteur. La clé du succès réside dans la capacité à équilibrer ambition réglementaire et pragmatisme opérationnel, en gardant à l’esprit que l’objectif ultime est de catalyser une transition durable et alignée avec les besoins des parties prenantes. »

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Expert-comptable et commissaire aux comptes, Insead, IMD Lausanne, analyste financier diplômé de la SFAF, Stéphane BELLANGER enseigne régulièrement depuis 2014 l’audit, les normes internationales de comptabilité, la comptabilité de gestion ou l’évaluation et la finance d’entreprise. Il est également auteur d’ouvrages, expert et partenaire d’incubateurs d’écoles de commerce et de management. Sa marotte est la déontologie et l’éthique

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