Académique

Conseil

Libris

Alerte Greenwashing

Interview Bertrand Coty

Wilfrid de Conti, Axel Denis, vous publiez aux éditions Eyrolles : « Alerte Greenwashing ». Quelle est l’ampleur du phénomène aujourd’hui ?

Le greenwashing est un phénomène généralisé. Quiconque s’essaye à apporter un argument écologique ou une démarche de développement durable dans une communication commerciale est en proie à des réflexes malheureux au minimum, et parfois à de véritables stratégies de greenwashing. Une grande enquête de la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) en 2023 montre qu’une entreprise sur quatre était en anomalie, ne respectant pas la réglementation en vigueur. C’est déjà énorme, mais elle ne prend pas en compte toutes les formes de greenwashing. La réalité va bien au-delà des allégations répréhensibles.

Le greenwashing est aussi une affaire de risques pour l’entreprise. Le risque juridique fait ses premiers pas. Récemment, l’entreprise Coca-Cola s’est faite attaquée en justice par l’ONG France Nature Environnement pour greenwashing lors de sa campagne de communication des Jeux Olympiques. Il ne s’agit pourtant que de la face émergée de l’iceberg, car les attaques en justice sont encore rares et concernent principalement les cas les plus évidents ou scandaleux. Les entreprises s’inquiètent encore peu de ce risque, mais redoutent davantage le risque réputationnel, qui passe par des attaques médiatiques. Les associations environnementales et les communautés d’acteurs engagés en ligne sont particulièrement actives sur ce sujet. On trouve de nombreuses campagnes de débunkage (démystification d’une information jugée trompeuse) sur les réseaux sociaux.

Les communications et publicités environnementales sont donc encore peu nombreuses à faire face au risque juridique du greenwashing, mais subissent plus massivement le risque réputationnel. Notre analyse des moindres recoins du greenwashing englobe même dans cette catégorie une grande majorité des publicités qui ont recours à une allégation environnementale.

Comment identifier les pratiques trompeuses, pourriez-vous nous donner un exemple ?

On ne peut pas crier au greenwashing à tout va, dès qu’une entreprise peu vertueuse sur le plan écologique se met à communiquer, qu’il y ait un lien avec l’environnement ou non. Le greenwashing est d’abord lié à une allégation environnementale dans la communication. L’allégation peut aussi bien porter sur le produit ou service que sur l’entreprise directement. Il faut réussir à détecter l’argument écologique ou la démarche de développement durable mise en avant dans la publicité, parfois de manière subtile. Il n’y a pas que les mots utilisés, mais aussi les images, les labels, les imaginaires qu’ils convoquent. Tous les éléments de la communication sont à prendre en compte pour détecter le greenwashing.

A partir de là, nous avons répertorié dans le livre 12 principes couvrant tous les cas de greenwashing. Pour chaque principe, nous vous donnons les clefs pour mieux comprendre en quoi cette pratique est trompeuse. Les cas les plus répandus concernent la forme de la communication. On voit fleurir toutes sortes d’éléments liés à l’écologie sans que ceux-ci soient justifiés. Si une marque de voiture veut mettre en avant une voiture à hydrogène par exemple, elle ne doit pas mettre en scène des images d’énergies éolienne ou hydraulique, comme nous l’avons déjà vu dans une publicité. L’hydrogène étant essentiellement issu d’énergies fossiles, le relier à une énergie renouvelable est trompeur. Il existe aussi des cas plus difficiles à reconnaître au premier coup d’œil. Les entreprises font parfois œuvre de diversion, en brouillant la distinction entre l’entreprise et ses produits. Mettre en évidence un label de responsabilité d’entreprise ne peut pas servir à valoriser la responsabilité d’un produit. Ce sont toutes ces astuces que nous dévoilons dans « Alerte Greenwashing ».

S’agit-il toujours d’une démarche de tromperie volontaire ou est-ce aussi de l’ignorance ou de la naïveté de la part des responsables de communication ?

Les entreprises ont malheureusement intégré un grand nombre de mauvaises pratiques de communication, dès lors qu’elles veulent valoriser la démarche écologique d’un produit ou de l’entreprise. Rappelons que n’importe quelle organisation peut tomber dans le piège, mais certaines en sont bien conscientes. Il est difficile de déterminer s’il s’agit d’une erreur par ignorance ou inattention, ou d’un acte volontaire. Certaines pratiques sont réfléchies parce qu’elles sont stratégiques, comme l’allégation de neutralité carbone. Nous démontrons dans ce livre à quel point s’en revendiquer consiste en une déformation de la réalité.

Il est évident qu’il n’y a pas toujours l’intention de tromper, même dans les entreprises où la communication est hautement stratégique, mais le greenwashing persiste en raison de la surenchère pour se positionner “plus écologique” que les autres. Il faut pourtant sortir de la communication environnementale qui en fait trop, qui veut vendre un rêve inaccessible et où règne l’exagération, pour entrer dans une communication plus juste : celle de la transparence, de l’authenticité, de la précision, du ralentissement et de la convivialité.

En quoi votre guide est indispensable aujourd’hui et à qui s’adresse-t-il en particulier ?

Cet ouvrage devrait rassembler toutes celles et tous ceux qui luttent contre le greenwashing. En dévoilant toutes les techniques existantes, jusqu’aux plus sournoises, les citoyens et citoyennes prennent la main pour sonner l’alerte. Et il est temps, parce que l’écoblanchiment bloque toute transformation écologique. Il empêche de mettre les responsables des dégâts environnementaux face à une réalité moins verdoyante que celle qu’ils montrent. Ils s’aveuglent d’abord eux-mêmes et propagent ensuite la croyance de leur bienfaisance environnementale. L’illusion dans laquelle se maintiennent les entreprises fautives ne les incite guère à bouleverser leurs pratiques. Nous en avons pourtant collectivement besoin.

L’objectif profond est l’action des organisations productives. Se débarrasser du greenwashing est essentiel pour entamer une transformation des modèles d’affaires des entreprises. Les communicant·es ont toute leur part à jouer, en appliquant les principes de ce guide. Nous espérons donc qu’il soit lu attentivement par les services de communication et en école. Les pratiques trompeuses doivent reculer, par la bonne volonté de certain·es ou par la pression juridique et réputationnelle subie par les entreprises.

édition Eyrolles

Production BCCTous droits réservés 2025

Plus de publications

Wilfrid de Conti est entrepreneur depuis 8 ans dans le domaine de la transition écologique. Il a cofondé sobery, qui propose aux entreprises des supports utiles et bas carbone pour les projets de communication

Plus de publications

Axel Denis est analyste environnemental et responsable de mission chez sobery

A lire aussi sur le sujet

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Translate »