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Vers une économie sociale pour sortir des crises

Interview Bertrand Coty

Dans votre dernier ouvrage paru aux éditions Vérone, vous partez du postulat que l’argent ne manque pas, mais il est mal réparti. Quel est le fondement de cette analyse ?

Les mesures d’austérité sont toutes justifiées par le fait « qu’il n’y a pas assez d’argent ». Le taux d’endettement et le déficit public sont préoccupants. Pour y remédier, l’État doit mettre en œuvre des programmes de réformes structurelles (réformes des retraites, du chômage, etc.) et/ou réduire les dépenses et/ou augmenter les impôts et taxes. On explique aux citoyens qu’il n’y a pas d’autres solutions.

Le gouvernent parle de faire des économies, mais ne parle jamais de réduire le gaspillage de l’argent de l’État, donc des citoyens et des entreprises. L’argent ne manque pas, on en crée tous les jours, mais il est mal utilisé et mal réparti. En France, l’État alimente son budget principalement par des emprunts bancaires, à chaque émission d’emprunt de l’État ou privé, les banques commerciales créent de la monnaie. La Bourse grimpe lorsqu’il y a beaucoup de liquidités non investies dans la productivité. La Bourse va tourner de plus en plus vite avec une économie qui va mal. Ainsi une injustice est générée dans la distribution des richesses. La classe moyenne prend alors du retard en croissance et les pauvres deviennent plus pauvres.

En 2023, la répartition de 1 000€ de dépenses pour les missions et programmes de l’État (i) place en premier les dépenses d’enseignement soit 201€ et en deuxième les intérêts de la dette publique soient 94€ … De 2024 à 2027, la France va gaspiller plus de 245Md€ en remboursement des dettes. Uniquement 19€ sont dépensés pour le plan de relance et investir pour la France de 2030 ; 11€ pour les régimes sociaux de retraite ; 7€ pour la culture ; 6€ pour la santé ; etc. De 1990 à 2022, la productivité en France a gagné en 33 ans en moyenne 0,85% par an. Les politiques budgétaires de l’offre, pro-européennes et pro-business, ont créé de l’inflation, un important déficit du commerce extérieur… et très peu de croissance. Cette politique de l’offre (aides aux entreprises) a coûté 156,88Md€ en 2019 et 175Md€ en 2022 à la France d’après la Cour des Comptes. En même temps entre fin 2019 et fin 2022, la productivité horaire – autrement dit, la richesse produite en l’espace d’une heure de travail – a chuté de 3,6%.

Vous parlez d’une transition écosociale. Quels en seraient les principaux aspects ?

Dans l’histoire contemporaine de l’Europe, différents modèles de développement économiques ont vu le jour. Aucun de ces modèles n’a permis un équilibre entre notre planète et l’homme. En France notre modèle de développement hybride (étatique et néolibéral) est devenu injustifiable et détruit la nature et le socle dont nous dépendons. Notre modèle économique est encore plus cruel. Il génère des inégalités sociales et culturelles.

Le modèle écosocial est un modèle qui crée un équilibre entre une économie performante, la solidarité sociale et la protection de l’environnement. Il est basé sur des investissements citoyens via des établissements de crédit publics, dans un cadre d’égalité et de liberté. C’est une économie sociale, écologique, durable, solidaire et citoyenne.

Quels sont les aspects qui rencontreraient l’adhésion des Français selon vous ?

Selon un sondage Ifop pour Intercommunalités de France paru en octobre 2023, 85% des Français considèrent que l’adaptation au changement climatique doit être une priorité, car il y aura un impact sur leur vie et leurs enfants dans les décennies à venir. Ils se montrent favorables à des sacrifices d’après un dossier de l’ADEME de mars 2021, mais les efforts doivent être partagés d’une façon juste entre les citoyens. Avec la situation économique en France et « la fin du mois », une majorité des Français se tiennent à distance des combats pour l’environnement.

La France est actuellement confrontée à plusieurs défis économiques et budgétaires, avec notamment une dette publique et un déficit qui ne se dégonflent pas. Ce gouvernement n’a plus les moyens d’emprunter pour combiner la lutte contre le réchauffement climatique avec la préservation du pouvoir d’achat. Ce livre propose une solution pour investir fortement et créer de la croissance sans emprunts d’État, sans réduction des dépenses ni création de nouveaux impôts et taxes.

À l’heure d’un budget resserré face à une dette conséquente, peut-on encore imaginer un investissement massif, comme vous le suggérez ?

Pour éviter une nouvelle crise financière demain, la France doit investir massivement 280Md€ par an sur un minimum de 4 ans : 100Md€ pour le climat ; 40Md€ pour le pacte dépendance et handicap ; 50Md€ pour le pacte républicain de solidarité ; 80Md€ pour le pacte ruralité ; 10Md€ pour le développement responsable des PME-PMI. Cet argent ne doit pas venir des nouveaux emprunts de l’État mais uniquement des économies des ménages.

Avec une épargne financière estimée à 4 427,7Md€ en 2023 et 935,5Md€ déposés sur les produits d’épargne réglementée ; un encours des dépôts à vue des particuliers au mois de juillet 2024 de 478Md€ ; une partie de cette manne peut être utilisée pour créer des nouveaux livrets d’épargne réglementés. Ces fonds serviront à des investissements productifs au lieu d’exporter cette épargne, via les banques commerciales pour acheter des titres de dettes étrangers.

Avec des plafonds de versement, les nouveaux produits d’épargne seraient garantis et rémunérés. Les nouveaux contrats devraient présenter plusieurs atouts pour les consommateurs : flexibilité, frais de gestion nuls, pas de frais de transfert, avantages fiscaux, etc. En plus tous les livrets réglementés doivent être gérés uniquement par des caisses de crédits publiques et paritaires et non des banques commerciales pour financer des prêts d’investissements ou des prêts participatifs.

Conformément au traité de Rome, les caisses de crédits publiques peuvent en plus emprunter directement à la Banque centrale européenne à des taux très compétitifs. Au lieu de développer des champions nationaux côtés en Bourse, la France pourra créer plusieurs milliers de PME locales et innovantes financées en totalité et à long terme par les établissements de crédits publiques.

Toutes les données figurant dans le livre sont des données obtenues à partir de sources officielles. Sur le blog http://soluclimat.com, plusieurs tribunes détaillent tous les sujets et offrent les liens sources.


[i] Il faut distinguer le budget de l’État et « l’argent public » (prélèvement obligatoires). Ce dernier est composé de l’ensemble des impôts, des taxes et des cotisations prélevés au bénéfice des administrations publiques (centrales, locales, Sécurité sociale et des institutions européennes)

éditions Vérone
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Gabriel GASPARD est spécialiste de l'économie financière, après un doctorat en informatique des organisations. Il a acquis 40 ans d'expériences internationales dans les échanges entre les États-Unis, l'Asie et l'Europe en tant que chef d'entreprise.

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