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Cryogénisation, aquamation ou forêt cinéraire face au droit de toute personne d’avoir une sépulture

Le juge administratif a déjà eu l’occasion de rappeler que “le droit de toute personne d’avoir une sépulture et de régler librement, directement ou par l’intermédiaire de ses ayants droit, les conditions de ses funérailles préalablement à son inhumation s’exerce dans le cadre des dispositions législatives et réglementaires en vigueur” (CE, 29 juillet 2002, n°222180, publié au recueil Lebon).

À ce jour, en France, le législateur n’autorise que l’inhumation ou la crémation de son corps. L’absence de disposition relative à un mode d’inhumation, autre que ceux prévus par la loi, n’exclut pas pour autant des demandes particulières de la part des familles. Ces revendications ou initiatives familiales sont étroitement contrôlées par le juge administratif.

Évoquons les cas de la cryogénisation, de l’aquamation ou des forêts cinéraires.

La cryogénisation ne constitue pas à ce jour un mode de sépulture légal. Le préfet a donc compétence liée pour refuser la demande tendant à conserver le corps d’un parent défunt par un procédé de congélation (CE, 29 juillet 2002, n°222180, publié au recueil Lebon). La Cour administrative d’appel de Nantes a également jugé que la conservation du corps d’une personne décédée par un procédé de congélation ne constitue pas un mode d’inhumation prévu par les dispositions légales en vigueur (CAA Nantes, 27 juin 2003, n°02NT01704). Le Tribunal de grande instance (TGI devenu aujourd’hui Tribunal judiciaire) de Saumur en 2002 a également jugé “qu’il n’existe aucune disposition relative à la congélation des corps” et que les dispositions régissant la police des funérailles et des lieux de sépulture sont d’ordre public de sorte que leur violation constitue un trouble manifestement illicite (TGI Saumur, 13 mars 2002, RG n°02/00022).

Dans une affaire où les corps des personnes décédées avaient été placés dans un appareil de congélation d’une crypte familiale (selon la volonté exprimée de leur vivant par les défunts), le juge administratif a considéré que si les dispositions légales en vigueur pouvaient être considérées comme des restrictions à la liberté fondamentale qu’a un individu de choisir son mode de sépulture, il a estimé que ces restrictions, prises dans l’intérêt de l’ordre et de la santé publics, ne sont pas aux contraires aux stipulations de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CE, 6 janvier 2006, n°260307, publié au recueil Lebon).

Il a en effet jugé dans cette affaire “d’une part, qu’en vertu des articles 8 et 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le choix du mode de sépulture, qui est intimement lié à la vie privée et par lequel une personne peut entendre manifester ses convictions, peut faire l’objet de restrictions notamment dans l’intérêt de l’ordre et de la santé publics ; que les restrictions que prévoient les dispositions précitées du code général des collectivités territoriales, en n’autorisant, après le décès d’une personne, que l’inhumation ou la crémation de son corps, lesquelles visent à organiser les modes de sépulture selon les usages et à protéger la santé publique, ne sont pas disproportionnées par rapport à ces objectifs et ne méconnaissent pas, par suite, les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales”.

L’immersion ou l’aquamation ne sont pas davantage autorisées par la loi actuellement. L’immersion n’est pas un mode de sépulture, seule la dispersion des cendres après crémation, en milieu marin peut être envisagée sous conditions. À un député RPR de l’époque qui demandait “s’il est possible, à une personne, de choisir l’immersion comme mode de sépulture, et, dans l’affirmative, de bien vouloir lui indiquer les textes réglementant une telle opération”, le Ministère de l’Intérieur a répondu de manière claire que ”les textes relatifs à la réglementation funéraire prévoient deux modes de sépulture : l’inhumation et la crémation. L’inhumation doit avoir lieu dans un cimetière, ou, dans certaines conditions, sur une propriété particulière, en vertu de l’article L.2223-9 du Code général des collectivités territoriales. Lorsque le mode de sépulture choisi est celui de la crémation, les cendres sont recueillies dans une urne en vertu de l’article R.361-45 du Code des communes, et peuvent être déposées dans une sépulture, un columbarium ou une propriété publique ou privée. L’article R.361-14 prévoit qu’elles peuvent être dispersées en pleine nature. Ces textes ne permettent pas de choisir l’immersion comme mode de sépulture. Conformément aux dispositions de l’article R.363-16, le corps d’une personne décédée doit être mis en bière avant son inhumation ou sa crémation. Aussi, seule la dispersion des cendres dans un milieu marin peut être envisagée” (Question n°3067, réponse publiée au JOAN le 27 octobre 1997, page : 3744). L’aquamation désigne une pratique funéraire recourant à une pratique d’hydrolyse qui permet de réduire la matière des corps en ses composants organiques et minéraux. Elle est considérée pour beaucoup comme étant plus sûre sanitairement que la crémation. L’aquamation à but funéraire pour les humains est légalisée dans plusieurs pays où territoires comme l’Australie, les Etats-Unis ou le Québec. Ce procédé est loué par les écologistes car il émet environ un tiers de moins de gaz à effet de serre que la crémation classique et ne rejette pas de fluides contaminant le sol, ni de déchets. Cette méthode n’est pas davantage d’actualité, même si la Cour des comptes en fait état dans son rapport sur la gestion des opérations funéraires en février 2019 (page 206).

Les forêts cinéraires posent également aujourd’hui problème. La forêt cinéraire est un site d’inhumation d’urnes funéraires biodégradables. Cette alternative d’inhumation existe déjà en Allemagne. Elle est résolument moderne et écologique pour beaucoup, répondant notamment à la saturation des cimetières et permettant la préservation de la biodiversité en faisant d’une parcelle de la forêt un lieu de recueillement protégé. Plusieurs projets de forêts cinéraires ont été suspendus en France alors même que de nombreuses familles souhaitent pouvoir en bénéficier. Pour les services de l’Etat, au regard des dispositions de l’article L.2223-40 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), les projets de “forêts cinéraires” correspondent à des sites cinéraires dits “isolés” en ce qu’ils seraient situés hors d’un cimetière et non contigus à un crématorium. La création et la gestion de ces sites reviennent exclusivement aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale. “Or, ces projets ne peuvent être mis en œuvre à ce jour en raison d’une incompatibilité des prestations proposées avec le droit funéraire en vigueur, revenant à faire payer aux familles des prestations qui doivent être gratuites. En effet, à l’issue de la crémation, la dispersion des cendres est notamment autorisée “en pleine nature” conformément à l’article L.2223-18-2 du CGCT. Cette opération, qui peut par exemple s’effectuer au sein d’un espace naturel forestier, est gratuite, mais ne peut donner lieu à la matérialisation d’une sépulture” (Réponse publiée JO Sénat 23 septembre 2021, page 5480).

La Cour des comptes, dans son rapport précité de 2019, a précisé que des modalités d’obsèques plus modernes devront, sans doute, faire à l’avenir l’objet de nouvelles réglementations (page 206 au sujet de l’aquamation). C’est une évidence. Cette “préconisation” de la Cour des comptes a plus de 5 ans. En attendant, l’Administration (collectivités territoriales et Etat) ne peut s’inscrire que dans le cadre légal. En effet, comme il a été dit à titre liminaire, le droit de toute personne d’avoir une sépulture et de régler librement, directement ou par l’intermédiaire de ses ayants droit, les conditions de ses funérailles préalablement à son inhumation s’exerce dans le cadre des dispositions législatives et réglementaires en vigueur. Des évolutions sont nécessaires, compte tenu des progrès techniques et scientifiques. De nombreuses familles en France le souhaitent ardemment. Mais comme l’a notamment précisé le TGI de Saumur dans sa décision de 2002 susvisée, c’est en vain que les familles excipent de l’existence de dispositifs techniques sophistiqués permettant la conservation des corps (ou d’avancées toujours possibles de la science qui donneront peut-être un jour raison aux défunts). Car l’évidence requise du juge lorsqu’il est saisi en la matière n’est autre que l’évidence juridique “à l’exclusion de toute considération scientifique qui ne saurait interférer dans sa décision”.

Président de FRD CONSULTING et de FRD LEARNING. Son expérience de juriste et d’avocat lui a notamment permis d'acquérir une solide expertise en droit immobilier public (droit de l’urbanisme, droit des collectivités territoriales, droit de l’environnement…).
- Spécialiste en droit public et en RSE
- DEA Droit public des affaires
- DESS Droit de la construction et de l'urbanisme
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