À l’issue de plusieurs années tramées de multiples ruptures – géopolitiques, sociétales, technologiques, économiques – et persuadé qu’il y a beaucoup de sagesse dans l’idée bouddhique selon laquelle il n’existe rien de constant si ce n’est le changement, nous aimerions simplifier ce qui peut apparaitre, de prime abord, de complexités et de nouveautés dans l’environnement actuel, nous attachant à quelques invariants.
Essentielle certitude, trois cycles perdurent qui se chevauchent et s’opposent, mais jamais ne se neutralisent.
Le cycle de l’espèce
Premier des cycles, celui de l’espèce humaine, construit sur des millions d’années, dont les moteurs, les mécanismes et les modes d’expression restent les mêmes que celles de nos ancêtres primitifs. Bâties sur le temps long, ces évolutions sont difficiles à observer à l’aune d’un seul millénaire.
Parlant (encore !) de l’homme nouveau, de l’homme augmenté ou de transhumanisme, les nouveaux milliardaires de la Silicon Valley dont la seule limite est celle de leur enveloppe charnelle, voudraient se penser demiurges (à moins qu’ils ne se sachent panneaux publicitaires…) et se convaincre que l’éternité est possible, là où la durée de vie maximale d’un être humain serait, pour les experts crédibles, située entre 120 et 150 ans.
L’une des contributions majeures de l’économie comportementale est de nous rappeler que notre cerveau primitif, originellement dédié à la survie de l’espèce, déclenche en nous des mécanismes automatiques, des réactions impulsives, plus immédiates réponses à certains stimuli que notre cerveau rationnel. Ces câblages neuronaux expliquent nombre de nos comportements, de nos arbitrages, de nos mécaniques décisionnelles souvent subjectives et paradoxales. Et ce ne sont ni la blockchain, les crypto-monnaies, ni l’intelligence artificielle, les métavers ou les NFTs qui changeront quelque chose à nos besoins innés de reconnaissance, de protection ou d’affirmation de soi -gravés dans l’ADN qui nous arrive du fond des âges.
Le cycle de l’histoire
Ce temps long de l’espèce coexiste aujourd’hui avec celui de la culture et de l’histoire dont les cycles sont assurément plus courts mais qui subsistent encore, même sur de longues périodes. Certains spécialistes qui nous promettaient la fin de l’histoire ou la disparition de la guerre comme premier moyen d’expression de la puissance l’ont trop rapidement occulté – l’Ukraine et le conflit entre Israël et Hamas sont là pour nous le rappeler douloureusement. Cette composante historico-culturelle, ce logiciel de l’esprit, nous est donné par notre éducation et un apprentissage inculqué dès notre plus jeune âge. Cette programmation mentale imprime profondément certaines de nos valeurs, nos codes sociaux, notre langage implicite et les règles de bienséance qui sont celles de notre communauté. L’ignorer ou simplement penser que notre nouvel environnement techno-structurel pourrait s’abstraire de ce second cycle est, là encore, une vue de l’esprit pernicieuse et, pour bonne partie, fantasmée.
Le cycle technologique
En miroir de ces deux cycles premiers, le temps technologique, lui, s’accélère et déroute nos capacités d’adaptation biologiques et culturelles – n’en déplaisent aux tenants d’un modèle qui voudraient s’abstraire des modèles et des imaginaires sociaux existants – ayant l’esprit collaboratif, l’innovation, la libre-entreprise (et la calculatrice) en bandoulière.
Cette tension nous promet des lendemains compliqués où la seule boussole, d’un point de vue économique, reste ce moment d’évaluation réciproque et ce mariage possible entre l’entreprise et ses parties prenantes.
Frédéric Jallat est Professeur à ESCP Business School où il enseigne sur les campus de Paris, Londres et Madrid.
Chercheur associé à la chaire KPMG et Directeur scientifique du Mastère spécialisé en management pharmaceutique et des biotechnologies (MsM), ses champs d’expertise et d’intérêt professionnels sont ceux de la géo-économie, des stratégies de rupture, du marketing, du pricing et du CRM.
Il est l’auteur de cinq ouvrages de référence et de très nombreux articles internationaux publiés dans ces domaines.
Frédéric Jallat enseigne également à Sciences Po. Paris, à l’Institut Français de la Mode (IFM) et à l’École Ducasse.
Ancien lieutenant de réserve et ancien auditeur de l’Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN), il est en charge des conférences de l’AR16 depuis septembre 2017 -ayant organisé près de 60 rencontres de haut niveau pour l’association dont il a été l’un des membres du comité de direction pendant six ans.
Diplômé de l’université de New York (ITP), titulaire d’un doctorat de l’ESSEC et de l’université Aix-Marseille III, d’une licence en droit de l’université Panthéon-Sorbonne, Frédéric Jallat a été professeur invité dans plus de vingt institutions académiques, réparties sur les cinq continents, parmi lesquelles New York university, Stanford university, The university of Texas at Austin, Ain Shams, Bocconi, Thammasat university, Chuo university, The Chinese university of Hong Kong, l’université San Andrés à Buenos Aires ou encore l'Académie du commerce extérieur de Russie en collaboration avec l’université Lomonosov à Moscou.